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L’AVALEUR DE SABRES

— Ça n’est pas pour vous gêner, répondit Médor ; mais on peut avoir besoin, pas vrai ?

Il essayait de sourire. Lily se mit à marcher.

— Oui, dit-elle en se rapprochant brusquement du parapet, j’aurai besoin de tout le monde.

Elle se pencha au-dessus de l’eau ; Médor la saisit à bras-le-corps. Elle ne se défendit point et releva sur lui son regard angélique.

— Si je me tuais, murmura-t-elle, qui la chercherait ? qui la trouverait ? qui serait sa mère ?

« Non, non, reprit-elle en marchant plus vite, si je la voyais morte, je ne dis pas… mais elle n’est pas morte.

— Ça, c’est juste ! approuva Médor de tout son cœur. Pourquoi l’auraient-ils tuée ? Et puis, si elle était morte, je le sentirais bien au fond de moi.

Elle traversa d’un pas délibéré la place Valhubert et s’en alla tout droit à la grande grille du Jardin des Plantes, qu’elle s’étonna de trouver fermée.

— Il faut pourtant bien que j’entre, se dit-elle ; comment entrer ?

Elle frappa à la grille comme à une porte et le fer rendit à peine un son sous son doigt.

Médor dit :

— Il n’y a personne ; le concierge est couché, on n’entre pas.

— Ah ! fit la Gloriette, et si elle est là, pourtant ? car on n’a pas cherché partout, on n’a pas cherché du tout !

— C’est vrai, murmura Médor.

— Dans ma chambre, tout à l’heure, reprit Gloriette, j’avais un rêve ; je la voyais couchée et dormant sous un grand buisson tout en fleur. Je sais où est le buisson. Oh ! je voudrais tant y aller voir !

— Dame ! fit Médor, les rêves, c’est quelquefois des avertissements.

Lily frissonna.

— Et les bêtes ! s’écria-t-elle, les lions, les tigres…

— Quant à ça, interrompit le bon garçon, les animaux restent dans leurs cages.

Mais Lily continuait, emportée par la fièvre qui la tenait :

— Et les serpents ! elle a si grand-peur des serpents ! Et les ours. Si elle allait tomber dans la fosse aux ours !

Médor se grattait l’oreille tant qu’il pouvait.

Lily prit sa course à toutes jambes, suivant la grille qui longe le quai.

— Il y a d’autres portes, dit-elle, je veux entrer, j’entrerai !

Puis une pensée l’arrêta ; elle rebroussa chemin toujours courant, et gagna la rue Buffon en faisant tout le tour des grilles.

Il y avait un beau ciel étoilé, où la lune à son second quartier nageait dans l’azur sans nuages. Sous l’ombre des tilleuls, de rares échappées de lumière pénétraient, tigrant le sol noir de taches blanches capricieusement dessinées.

— C’est ici ! ah ! c’est ici ! s’écria la Gloriette en secouant la grille avant tant de force que les hampes oscillèrent sous sa main, délicate comme la main d’un enfant. Voilà l’endroit où les petits jouaient. Elle ne peut pas être loin, allez, c’est certain. Dites ! dites ! comment voulez-vous qu’elle soit bien loin ?