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LES HABITS NOIRS

Sans prendre son chapeau ni mettre son châle sur ses épaules, elle ouvrit la porte si brusquement que Médor eut à peine le temps de se jeter de côté. Lily passa sans le voir et descendit l’escalier en se tenant à la rampe.

Médor descendit après elle.

Dans cette pauvre maison, il n’y avait point de concierge : ils purent sortir tous les deux sans éveiller l’attention de personne.

Le temps avait marché. Il était onze heures du soir environ. Lily trouva sa route jusqu’à la maison de police. Elle allait d’un pas léger, presque joyeux. La servante qui gardait le bureau vint lui répondre, à travers un guichet, que monsieur le commissaire était au théâtre.

Il n’y a, certes, point de mal à cela, d’autant que les théâtres ont des loges spéciales pour la surveillance, mais rien n’est parfait, et je vous engage à n’avoir jamais besoin du commissaire après la nuit tombée.

Lily ne pouvait comprendre que le monde entier ne fût pas à sa disposition pour retrouver son cher trésor perdu. Quand la servante lui dit de revenir le lendemain, elle s’éloigna révoltée.

Toute une nuit ! En une nuit, un enfant peut être emporté si loin que la police elle-même n’a plus le bras assez long pour le joindre. Et qui sait ce qui peut nous arriver en une nuit ? Les médecins vont la nuit au secours des malades ; on vend du vin la nuit, on soupe, on danse, on vole, on joue, et les gardiens en uniforme veillent ; mais tout ce qui est « administration », commis ou fonctionnaire, ferme boutique la nuit et dort.

Lily parla aux sergents de ville, qui furent bons pour elle, car ils savaient déjà son histoire. On lui rendit compte de l’expédition faite en foire : la place du Trône avait été régulièrement « épluchée », mais sans résultat aucun.

— Et que va-t-on faire, à présent ? demanda Lily. Les sergents de ville ne sont pas institués pour savoir. Ils répondirent par cette fameuse phrase qui est le fond de la langue administrative et qui berce chez nous, du matin jusqu’au soir, dans des milliers de bureaux, des milliers d’intérêts :

ON VA PRENDRE DES MESURES.

Phrase immense ! qui permet à quatre Français sur dix de recevoir des appointements gras ou maigres.

La Gloriette ne connaissait pas bien tout l’étonnant mérite de cette phrase, cependant elle se dit, comme le moissonneur de la fable :

— J’aurai plus tôt fait d’agir par moi-même.

Cela est bien vrai, en principe, mais chercher dans Paris, la nuit, une fillette perdue ! Pauvre Lily !

Il y a des entreprises, folles au premier chef, qui, du moins, sont un soulagement par l’occupation qu’elles donnent au corps et à la pensée. Lily se mit à marcher activement, revenant sur ses pas vers la Seine et travaillant mentalement.

Comme elle traversait le pont d’Austerlitz, Médor se rapprocha d’elle, parce qu’il craignait un malheur.

Jusqu’à ce moment Lily n’avait point vu qu’elle était suivie. Elle reconnut le pauvre bon garçon et lui dit :

— C’est encore vous ?