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L’AVALEUR DE SABRES

— Tu sais bien, répéta-t-elle.

— Certes, certes, je sais bien. C’est pour voir comme tu es avancée, trésor. Où demeures-tu ?

— Chez nous, tu sais bien !

Saladin remercia encore le dieu des loups qui lui faisait la partie si belle.

— Où est-ce, chez toi, ma chérie ?

— Au-dessus de la danseuse de corde, pardi ! fit l’enfant avec impatience.

— Comme quoi les petits sont analogues aux chiens, pensa l’heureux Saladin. Quand on néglige de leur mettre au cou un collier avec plaque de cuivre, bernique !

Il insista pourtant :

— Je parie que tu sais le nom de ta mère ? interrogea-t-il bien doucement.

— C’est maman, repartit Justine qui ajouta : ils l’appellent aussi la Gloriette… pourquoi ?

— En route pour la maison tout en or ! s’écria Saladin. Il n’y a pas d’ange pareil à toi dans le paradis ! viens que je te recoiffe.

Il poussa la porte d’une allée noire, et d’un tour de main escamota le toquet de Petite-Reine qu’il remplaça par un mouchoir à carreaux. L’enfant voulut se fâcher, pour le coup, mais le rusé drôle se mit à la regarder avec admiration et battit des mains, en disant :

— Ah ! comme te voilà belle ! Si tu pouvais seulement te regarder un peu dans un miroir ! Ton papa va te manger de caresses.

Il la reprit dans ses bras, un peu étonnée et craintive. Son plan était que le second cocher, en cas d’accident, ne pût donner le signalement de l’enfant, dont il couvrait maintenant le corps avec les pans de son vieux châle.

En marchant, il redoublait de gaieté, promettant monts et merveilles et dépensant des trésors d’éloquence à décrire les miracles de la maison tout en or.

Petite-Reine, étourdie, ne souriait plus, mais elle ne pleurait pas.

Ils arrivèrent ainsi à une place de fiacres, où Saladin choisit une paire de forts chevaux.

— À l’heure, dit-il en montant. 17, rue Saint-Paul, au Marais. N’allez pas trop vite, rapport à l’enfant qui est malade en voiture.

Petite-Reine, qui était déjà sur les coussins, entendit et dit :

— Mais non, je ne suis pas malade en voiture !

Saladin monta à son tour.

— Tais-toi donc, minette ! fit-il en clignant de l’œil, c’est pour lui jouer une niche, tu vois bien !

— Je ne veux pas lui jouer de niche ! s’écria Justine entrant en révolte avec la soudaineté des enfants idoles. Je ne suis pas malade, et tu es une menteuse !

Saladin entonna une chanson, pensant à part lui :

— Un peu plus tôt, un peu plus tard, il aurait toujours bien fallu l’endormir pour faire ma visite à Languedoc. Va, trésor, on connaît son affaire. Tu vas bientôt commencer ton petit somme !

Il ne cessa de chanter qu’au moment où le fiacre s’ébranla. Petite-Reine