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L’AVALEUR DE SABRES

Elle lui fourra un biscuit entre les dents.

— Le joli petit ange ! dit un groupe de dames à la hauteur de la fosse aux ours. Voyez donc cet amour !

Petite-Reine fut aussitôt distraite et envoya aux dames un beau sourire avec un baiser. Saladin la mit à terre et lui dit à l’oreille :

— Fais-leur voir comme tu marches bien !

Et l’enfant, reprenant aussitôt son rôle de petite merveille, marcha en se tenant droit, en balançant sa crinoline bouffante et les pieds bien en dehors.

— Pour ta peine, reprit Saladin qui passa la porte du jardin zoologique, je vais te montrer les gros moutons et les cocottes qui vont dans l’eau… C’est étonnant comme les enfants oublient ! Te souviens-tu de petit père, au moins ?

Justine s’arrêta court, ouvrant ses grands yeux qui interrogeaient.

— Viens, continua la prétendue vieille. C’est moi que tu appelais bobonne, en ce temps-là…

— Quand donc ? interrompit l’enfant dont la curiosité s’éveillait.

— Viens !… au temps où tu étais bien riche. Tu dormais dans un berceau tout plein de dentelles.

— Mère m’a dit cela ! murmura l’enfant.

— Tous les matins et tous les soirs, tu pries le bon Dieu pour petit père, pas vrai ?

— Ah ! je crois bien !… comme tu vas vite !

— Voici les cocottes, annonça madame Saladin, arrivant au parc des oiseaux aquatiques. Est-elle laide, celle-là qui se tient sur un pied, avec son bec pointu ! regarde !… Seras-tu bien contente quand tu vas revoir petit père !

Justine sauta de joie.

— Est-ce que c’est aujourd’hui ? s’écria-t-elle.

Saladin la reprit dans ses bras, car il était sur les épines. Le temps passait. D’une minute à l’autre, on pouvait le poursuivre.

— Écoute, dit-il en baissant la voix, il y a des méchants, des bien méchants, qui empêchent ton petit père de demeurer avec ta petite mère. Tu étais trop petite, on ne pouvait pas t’expliquer ça.

Justine fit un signe d’intelligence ; elle était tout oreilles.

— Alors, continua Saladin qui pressait le pas, petite mère m’a dit : « Bobonne, il faut que le père la voie. Quand il l’aura vue si mignonne, si jolie, avec ses joues roses, ses cheveux blonds et ses yeux bleus… »

— Et mes belles bottines, ajouta Petite-Reine.

— « Et ses belles bottines, et son toquet à plumes… alors, il voudra la voir toujours ! »

— Mais, voulut objecter l’enfant, mère Noblet…

— Attends donc… alors, petite maman a fait mine de s’absenter aujourd’hui…

— Pourquoi ?

— À cause des méchants. Et si nous en rencontrons, des méchants, prends bien garde ! il faut rire et m’embrasser bien fort… On peut en trouver plus d’un avant la maison tout en or où est petit père, dans la ville des nobles et des riches.