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L’AVALEUR DE SABRES

Il salua respectueusement, et le duc prit congé.

Aussitôt qu’il fut sorti, le commissaire sonna. Picard entra.

— Il y a quelque chose là-dessous, lui dit le commissaire. Est-ce que la jeune femme est jolie ?

— Plus que jolie, répliqua Picard. Elle est à croquer, malgré ses yeux rouges et ses pauvres joues pâles.

— Faites venir Rioux.

Rioux était un assez vilain bourgeois, mais un bel agent. Son profil affectait un peu la forme fuyante des têtes de levrettes, mais, en dépit de l’évangile phrénologique, il ne manquait pas d’intelligence. Il arriva tout soucieux.

— Ce duc avait sa voiture à la grande grille, dit-il ; quoiqu’il soit entré au Jardin des Plantes par la porte de la rue Cuvier. C’est drôle.

— Et la voiture a suivi au pas derrière le monde, par le pont d’Austerlitz, ajouta Picard, elle attend à la porte.

Le commissaire consulta sa montre d’un air égrillard.

— Chacun a ses petites histoires d’amour, fit-il en ramenant les faces de ses cheveux : ce sont des sauvages qui roucoulent comme des tigres, là-bas. Celui-ci n’a pas inventé la poudre. Je l’ai envoyé à la préfecture pour la règle, mais je ne serais pas fâché que le pot aux roses fût découvert par nous. Attention ! il y a une prime.

— Le grand seigneur m’en avait l’air, répondit Picard. Je suis resté pour ça.

Rioux étendit les cinq doigts de sa maigre main.

— Preu ! dit-il comme les enfants au jeu. J’ai un truc.

— Moi aussi, s’écria Picard. Écrivons !

Ils saisirent à la fois leurs carnets, qui ne brillaient pas par la propreté, et tracèrent une ou deux lignes au crayon. Le commissaire lut d’abord le truc du brigadier et dit : Pas mal ! Il jeta les yeux sur celui du sergent de ville et se prit à rire.

— Le même ! fit-il. Ex æquo. Ça doit être bon. Carte blanche et cent francs de mise en train pour les frais. Cinq cents au gagnant. À Dieu vat !

Rioux et Picard se précipitèrent dehors. Le commissaire avait lu sur leurs carnets la même phrase, écrite lisiblement, avec des orthographes diverses, mais également fautives.

« Faire aujourd’hui même l’épluchage de la foire au pain d’épice. »

Rioux et Picard montèrent fraternellement en fiacre place Mazas, car il s’agissait de se hâter.

— Ma vieille, dit Rioux, la prime ne nuit pas, mais j’y mettrais du mien pour retrouver la petiote.

— Rapport à la jeune dame, répliqua Picard, compris, le sentiment, je le partage.

— Et on va y aller comme des tigres pas vrai ?

— À l’œuf ! mêle-t-on ?

— On mêle… Au galop, le cocher !

Saladin ne se doutait guère d’être serré de si près.

Il ne savait pas que l’ennemi allait l’attendre dans ses propres quartiers.

Il avait manœuvré comme un ange, et nous ne pouvons nous dispenser de donner au lecteur les détails de son expédition, en faisant toutefois