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LES HABITS NOIRS

Lily, au lieu de remercier, haussa les épaules comme un enfant à qui on promet une chose impossible.

— Vous verrez, dit Médor avec simplicité.

Mais l’idée de la Gloriette lui revenait.

— Je veux retourner ! je veux retourner s’écria-t-elle, on n’a pas cherché, le jardin est grand, et elle est si petite. Pour la cacher, il suffit d’une touffe de fleurs. Aujourd’hui, tout le monde est avec moi, personne ne refusera de chercher pour l’amour de moi, mais demain…

« Et puis, s’interrompit-elle, résistant à ceux qui la soutenaient, j’ai oublié quelque chose là-bas… Vous ne me croyez pas, mais je vous assure que j’ai oublié quelque chose… Écoutez ! mère Noblet me montrera l’endroit où elle l’a vue pour la dernière fois… et je retrouverai la place de son petit pied chéri… et j’emporterai la terre… et je l’aurai… et je la garderai…

Un sanglot la suffoqua.

— Voyons ! voyons ! dit le sergent, dont la paupière battit.

Et comme Médor faisait mine de se révolter, il ajouta :

— Bonhomme, j’approuve ta sensibilité, mais le temps presse. Monsieur Picard et monsieur Rioux me font signe là-bas… J’ai idée qu’ils veulent battre la foire au pain d’épice, dont c’est le dernier jour, place du Trône. En avant !

Médor comprit et enleva la pauvre Gloriette qui ne résistait plus.

Monsieur Picard et monsieur Rioux, les deux agents, avaient disparu.

La procession continua sa marche. À mesure qu’on approchait de la rue Lacuée, l’intérêt des passants augmentait. Sur la place Mazas, le convoi se recruta de tous les badauds rassemblés autour de la danseuse de corde qui est là en permanence et dont Petite-Reine était une cliente assidue. La danseuse de corde vint elle-même avec ses trois petites filles et des deux petits garçons qui ne se ressemblaient point entre eux.

La Gloriette sembla frappée ; elle regarda attentivement la famille de la saltimbanque et murmura :

— Sont-ils bien à elle, tous ces enfants ?

— Les mamans sont sorcières, dit le sergent. On va éplucher le Trône. En avant ! en avant !

Mais c’étaient maintenant des voisins qui se présentaient sur la route, des gens que Lily voyait tous les jours, et qui tous les jours arrêtaient Petite-Reine pour avoir un baiser ou un sourire.

— Est-ce bien vrai ? est-ce bien vrai ? Elle était si mignonne ce matin, en partant pour la promenade ! Elle se tenait si droite ! elle tournait si bien ses jolis pieds en dehors.

— Elle m’a dit bonjour en passant…

— Elle riait, elle chantait…

— Ils me l’ont prise ! répondait la Gloriette. Je suis toute seule, je n’ai plus rien, c’est bien vrai, c’est bien vrai !

— Et il faut que ce soit celle-là pour la première fois que ça m’arrive ! ajoutait la Bergère qui pleurait aussi sous son grand chapeau de paille : une enfant si connue ! mon commerce est flambé, je n’ai plus que l’hôpital !

Par le fait, mère Noblet n’eut pas besoin, ce soir-là, de reconduire ses brebis à domicile.