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L’AVALEUR DE SABRES

— Voilà, conclut amèrement la mère Noblet. Ni vu ni connu ! Et moi mon commerce est flambé ! Ah ! les riches !

Une huée bruyante s’éleva de la foule.

— L’enfant ! l’enfant ! l’enfant ! criait-on.

La Gloriette mit sa main sur l’épaule de Médor et lui demanda :

— Quel enfant ?

On eût dit qu’un travail se faisait en elle et que son intelligence allait s’éveiller. Médor ferma ses gros poings et sa voix domina tous les autres bruits.

— Je n’ai pas menti, dit-il, l’homme a causé avec la voleuse d’enfants. Si on le laisse s’en aller, je le suivrai… et je l’aurai !

La Gloriette répéta en regardant le vague :

— La voleuse d’enfants…

Puis elle devint attentive, et sa pauvre jolie tête se redressa dans une pose inquiète.

Les groupes s’agitaient en colère ; on se montrait au doigt l’étranger qui reboutonnait sa redingote paisiblement. Madame Noblet ordonna à son troupeau de se mettre en rangs et dit à Médor avec rudesse :

— À ton ouvrage, toi !

— Non, repartit Médor, celle-là est trop malheureuse, je reste avec elle.

— Ah ! fit la Gloriette qui l’interrogea d’un regard éperdu, est-ce moi ?… est-ce moi qui suis trop malheureuse !

La Bergère s’élança vers les sergents de ville pour faire respecter son autorité, mais ceux-ci, qui jugeaient l’affaire finie et bien finie, se mirent dos à dos pour prononcer le commandement sacramentel :

— Circulez !

— Mais l’enfant ! l’enfant ! répéta l’assistance.

Médor ajouta :

— Et la mère !

— Où est la mère ? demanda un des sergents.

Personne ne répondit, parce que la Gloriette venait de se mettre sur ses pieds. Elle semblait attendre que quelqu’un parlât. Le sergent la devina et marcha vers elle.

— Vous allez suivre ces messieurs au bureau de police de votre quartier, lui dit-il avec douceur, en montrant les deux agents. C’est heureux qu’ils se soient trouvés là à la gare, vous ferez votre déclaration. S’il y a des témoins, ils déposeront.

La Gloriette avait ses grands yeux fixés sur lui.

— C’est donc moi ! murmura-t-elle. Tout ce monde-là est ici pour moi ! Et on m’a volé ma Petite-Reine !

Médor la prit dans ses bras pour l’empêcher de tomber à la renverse.

Tous les bruits étaient morts comme par enchantement. Un silence profond entourait cette scène. L’angoisse des mères est contagieuse entre toutes. On voyait un large cercle de figures attristées, dont l’expression avait quelque chose de respectueux.

— Je l’ai quittée ce matin, poursuivit la Gloriette ; chaque fois que je la quittais, j’avais peur. Il me semblait que j’étais trop heureuse, et qu’on me prendrait mon bonheur. J’ai pensé à elle tout le long du chemin, à elle, rien qu’à elle. Jamais je ne pense qu’à elle… Êtes-vous bien sûr qu’on me