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LES HABITS NOIRS

Toute l’aristocratie de la baraque était là, le célèbre Cocherie, Laroche l’universel, les singes polytechniques, les tableaux vivants, la sibylle parisienne, le cheval à cinq queues, la pie voleuse, l’enfant encéphale, le petit cerf savant qui passe dans un cerceau, la lutte à mains plates : Arpin, Marseille, Rabasson, — des albinos, des nègres, des Peaux-Rouges, — des phoques, des crocodiles, — l’hermaphrodite, le boa constrictor, le lapin qui joue aux dominos, — l’homme à la poupée, les jumeaux de Siam, l’adolescent squelette, — le salon de cire et cette cabane percée de trous ronds où l’on voyage pour deux sous à travers les cinq parties du monde.

Il était cinq heures du soir, le temps menaçait ; pour tant et de si grandes attractions, la place du Trône contenait à peine en ce moment une centaine de flâneurs endurcis qui regardaient volontiers les bagatelles de la porte, mais qui ne montraient aucune envie d’entrer. Pour ces cent badauds, les mille pitres, saltimbanques, paillasses, marquis et mères gigognes faisaient assaut désespéré de coquetteries. C’est à ces heures de disette que les artistes en foire déploient le mieux leur vaillance proverbiale. Porte-voix, gongs, tam-tams, crécelles, tambours, trompettes, grosses caisses, ophicléides s’acharnent à produire un tapage infernal, lors même qu’il n’y a plus personne pour les entendre. L’idée a dû venir plus d’une fois à Bilboquet abandonné d’incendier sa boutique pour avoir occasion de crier au feu.

Cela attirerait peut-être le monde.

Les clameurs se croisaient avec une violence inouïe. C’était un pêle-mêle de contorsions véhémentes, de danses furieuses, de coups de pied toujours adressés au même endroit, de cris, de gestes, de sons de cloches, de vibrations métalliques, de chansons, de pétards et de fanfares.

— Prenez vos billets !

— Il faut le voir pour le croire !

— Deux sous !

— Le seul phénomène vivant qui ait reçu une médaille d’or de la propre main du prince Albert !

— Dzing ! boum ! — Pan ! pan !

— Sa malheureuse mère mourut de douleur en voyant le monstre à qui elle avait donné le jour !

— Tara, tantara, tantara… couac ! couac !

— On offre trente mille francs comptant à qui montrera le pareil — vivant !

— Entrez ! il y a encore six places, et ce sont les meilleures !

— Suivez le monde ! on verra le lion marin manger l’enfant à la mamelle !

— Ce n’est pas un franc, ce n’est pas un demi-franc, ce n’est pas même vingt-cinq centimes… Boum ! dzing !

— Dix-huit ans ! 200 kilogrammes et des attraits supérieurs à son poids ! On commence ! Deux sous ! deux ! deux !

Le Théâtre Français et Hydraulique était situé à l’extrémité de la place du Trône, à gauche en montant du côté du boulevard de Montreuil : bonne place le dimanche, où le flot vient de la barrière, mauvaise place en semaine où les visiteurs plus rares arrivent du côté de Paris.

L’eau va toujours à la rivière : Laroche, le Rothschild des bonisseurs,