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LES HABITS NOIRS

Elle n’alla pas bien loin. Elle s’arrêta au premier arbre qui se trouva sur son chemin et s’y appuya.

Puis, ainsi soutenue, elle en fit le tour vivement.

Ce n’était pas de l’espoir qui éclairait son visage, c’était comme une certitude de voir derrière l’arbre ce qu’elle cherchait.

Quand elle vit que, derrière l’arbre, il n’y avait rien, elle secoua la tête lentement et reprit sa marche vers l’arbre suivant.

Le silence s’était fait. On voyait des gens qui pleuraient.

Rien encore derrière le second arbre. Lily toucha son front et appela d’une voix chevrotante :

— Justine, ma petite fille !

Mais elle ne se découragea point et continua sa route vers le troisième arbre.

En marchant, elle dit avec des pleurs dans la voix :

— Je t’assure que je ne veux plus jouer, Justine… quand je souffre tu m’obéis toujours.

Au pied du troisième arbre, l’homme au visage bronzé était debout. Ceux qui suivaient Lily le remarquèrent, plus pâle qu’elle et le regard cloué sur elle comme s’il eût subi une fascination.

À l’approche de la jeune femme, il se retira pas à pas, à reculons, sans cesser de la regarder.

Elle atteignit l’arbre, elle chercha derrière ; elle se laissa aller, accroupie et disant :

— Je ne veux plus jouer, je ne veux plus jouer… ah ! que je souffre !

À ce moment, Médor, lancé comme un boulet de canon, perça la foule de nouveau. Il était baigné de sueur.

Il se rua sur l’homme au tient de bistre qui regardait Lily d’un œil égaré, et le saisit au collet avec violence, en criant :

— C’est lui ! le factionnaire l’a reconnu ! Il a parlé à la voleuse d’enfants ! Si personne ne m’aide à l’arrêter je l’arrêterai tout seul !


VIII

La foule


Médor s’appelait de son nom Claude Morin. Il n’en était pas plus fier, attendu que cette étiquette lui avait été fournie par l’administration de l’hospice des Enfants trouvés.

Il était bon chien de berger ; peut-être n’aurait-il point su faire autre chose. On lui donnait chez mère Noblet quinze sous par jour et le déjeuner. Le soir, il travaillait en chambre et gagnait encore cinq sous à piquer des bretelles. C’était juste son loyer. Sa chambre lui appartenait en propre ; il louait seulement le terrain, au sixième étage d’une maison de la rue Moreau, entre deux toits, dans les plombs.

Sa chambre était une ancienne stalle d’écurie des Arènes nationales, où il avait été balayeur. Il l’avait eue à bon compte, lors de la vente ; il l’avait