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LES HABITS NOIRS

— M’obéit-on, à la fin ! s’écria la Bergère avec impatience. Ici, Petite-Reine ! mademoiselle !

Les rangs s’ouvrirent, Médor passa au travers en chancelant. Ses gros yeux battaient, et il faillit s’étrangler de l’effort qu’il fit pour prononcer ces mots :

— C’est elle qui manque !

Lily se leva toute droite et porta ses deux mains à son cœur. La Bergère ne comprenait point encore, ou ne voulait point comprendre.

— Qui manque ! répéta-t-elle.

Puis elle ajouta :

— Avec mon organisation c’est impossible !

Lily marchait vers les enfants qui reculèrent à l’aspect de son visage déconcerté. Médor se mit à la suivre pas à pas, tandis que madame Noblet, retrouvant un peu de présence d’esprit dans le sentiment de sa fonction, s’écriait :

— Messieurs, allez aux grilles, pour l’amour de Dieu ! Prévenez les gardiens et les factionnaires et tout le monde ! Il y a un enfant de volé !

— Justine ! Justine ! appela en ce moment la Gloriette d’une voix caressante et douce.

Elle ne donnait aucune attention au grand mouvement qui se faisait autour d’elle. La foule s’était reformée avec une rapidité extraordinaire. La nouvelle du malheur arrivé courait comme le vent. Quelques braves gens, moins pressés de bavarder que de bien faire, se hâtaient de courir aux grilles.

La Gloriette disait :

— Justine ! ne te cache plus, je t’en prie ! je sais bien que tu es là, mais je ne veux plus jouer. C’est un jeu cruel. Réponds-moi, où es-tu ?

Elle dérangeait chaque enfant l’un après l’autre, et ceux-ci la regardaient, ébahis, avec des larmes dans les yeux.

Ils avaient compassion instinctivement, parce qu’elle les suppliait à mains jointes.

— Mes petits, mes petits, priait-elle avec un sourire qui mendiait une consolation, laissez-moi voir ma chérie. Je sais bien qu’elle n’est pas perdue, mais… mais voyez-vous, je n’ai plus la force de jouer !

Il y eut un enfant qui répondit :

— Cherchons !

Et le troupeau s’éparpilla, tournant autour des arbres, quêtant, furetant, appelant :

— Petite-Reine ! Petite-Reine !

Médor laissait faire, il semblait anéanti.

Madame Noblet, au milieu du groupe, détaillait le signalement de Justine, mais chacun répondait :

— Nous connaissons bien Petite-Reine !

Et beaucoup partaient, les bonnes âmes, pour fouiller le jardin de bout en bout.

D’autres arrivaient ; le bosquet était plein, l’allée aussi. Le nom de Petite-Reine allait et venait par la foule.

Tous l’aimaient et disaient à ceux qui ne l’avaient jamais vue, sa gentillesse, sa grâce et la mignonne vivacité de ses reparties. Tout à l’heure