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L’AVALEUR DE SABRES


VII

La voleuse d’enfants


Le Petit Chaperon rouge devait être bien jeune quand il prit le loup pour sa mère-grand. Saladin avait toute sorte d’avantages sur le loup ; sa figure de gamin, déjà usée, se prêtait merveilleusement au rôle qu’il avait choisi. Petite-Reine l’embrassa du meilleur de son cœur et lui fit une belle révérence.

Mais, d’un autre côté, compère le loup était tout seul dans la cabane avec le petit chaperon rouge, tandis que Saladin avait ici des centaines de témoins qui le gênaient.

La corde à sauter l’avait, il est vrai, rapproché de Justine ; mais le bosquet était désormais encombré.

C’était de l’enthousiasme que Justine excitait. Tout le monde la regardait, tout le monde voulait lui donner une caresse. Les difficultés de l’entreprise augmentaient au lieu de diminuer.

Saladin se retira discrètement au second rang. Deux heures sonnaient à l’horloge du Muséum.

— Veux-tu te reposer, trésor ? demanda la Bergère à Petite-Reine.

— Non, répondit l’enfant insatiable, je veux jouer aux quatre coins.

Elle était toujours obéie. Le jeu des quatre coins commença. Madame Saladin, appuyée contre un arbre, se disait :

— C’est la lune à prendre avec les dents, quoi, mauvaise affaire ! On ne peut pas escamoter ça en plein jour comme une muscade. J’avais compté sur les animaux, sur le labyrinthe et le tremblement. Rien de tout ça ! Pas même un embarras d’omnibus à espérer. Rasé ! chou blanc ! cent quatorze sous de perdus ! Va bien ! je renonce au commerce !

Je ne crois pas qu’il y ait une providence pour les loups, et pourtant, vous allez voir.

Au moment où madame Saladin, perdant courage, allait peut-être jeter le manche après la cognée, un grand mouvement se fit du côté de la grille de la rue Buffon : c’était une pension du voisinage qui venait promener ses premières communiantes. En même temps, par la place Valhubert, un collègue entra. Ce n’est pas tout : le théâtre des bêtes en cage fermait ; le flot des curieux établit son cours par l’allée des néfliers du Japon et descendit vers les bosquets, tandis que les visiteurs du Muséum revenaient par l’allée Buffon.

On causait de l’ours dans les groupes faubouriens ; l’ours est la gloire la plus populaire qu’il y ait à Paris. On racontait l’aventure du chat, imprudent et gourmand, qui s’était lancé dans la fosse à la poursuite d’un oiseau blessé ; Martin avait mangé l’oiseau et le chat d’une seule bouchée, en se dandinant horriblement.

Tant que Paris vivra, il radotera cette palpitante histoire.

La famille anglaise était là : sept demoiselles, sept tartans roses et bleus, sept voiles verts, quatorze longues jambes qui sautillent en marchant