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LES HABITS NOIRS

Petite-reine demanda :

— Y aura-t-il ma cerise sur le portrait ?

Elle fut embrassée, toute mouillée qu’elle était, et la jeune mère répondit :

— Je voudrais bien, mais je n’oserais pas.

— Puisque tu dis que petit père riait toujours en regardant ma cerise !

Lily passa son mouchoir sur ses yeux pour essuyer l’eau du baiser et peut-être une larme. Il y a des mots qui font revivre tout un bonheur passé.

Nous sommes dans les enfantillages jusqu’au cou avec cette Gloriette et Petite-Reine. Un de plus, un de moins, le lecteur nous pardonnera.

Petite-Reine avait une cerise, mais si bien faite ! une cerise rouge, brillante, avec un peu de jaune d’or au milieu, comme si elle eût pendu encore à l’arbre sous un rayon de soleil.

C’était un fruit de ce travail bizarre et mystérieux que la nature accomplit en se jouant chez celles qui vont être mères. Elles ont des désirs fougueux, impossibles parfois et l’enfant vient, portant quelque part le témoignage du caprice qui ne fut pas satisfait. Il arrive ainsi que la postérité de madame Canada puisse apporter en naissant une goutte de café sous l’œil ou un bon verre de vin bleu répandu sur la moitié du visage. C’est hideux.

Et c’est charmant quand, au lieu des brutales fantaisies de la misère, la jeune femme a souhaité ce que rêvent les heureuses : des fleurs, par exemple.

Dumas fils, qui écrivit ce beau livre : La Dame aux camélias, trouverait dans telle noble demeure du faubourg Saint-Germain le titre d’un autre livre aussi gracieux, mais plus chaste.

La dame aux roses ne se coiffe point comme les autres marquises ; elle laisse tomber ses cheveux noirs en larges boucles sur ses épaules. Assurément, il n’y eut jamais que la main d’un époux ou le souffle du vent pour soulever ce riche voile et découvrir les deux roses pâles, divin pastel qu’une envie de sa mère estompa sur le vélin de sa nuque.

J’ai dit le mot, ce sont des envies.

Et Lily, la sauvage, avait eu tout bonnement envie de cerises.

Au temps où Justin, bel étudiant, était fou de Lily et de sa petite, il jouait des heures entières auprès du berceau et c’étaient de longues joies quand on découvrait la cerise.

Seulement la cerise ne pouvait pas être sur le portrait. Le hasard l’avait placée en un lieu qui se voile : entre l’épaule droite et le sein, tout près de l’aisselle.

Avant de passer une petite chemise plus blanche que la neige, Lily baisa la cerise avec un gros soupir.

— Tu dis toujours que père nous aime, reprit Justine, pourquoi a-t-il besoin d’un portrait pour venir nous voir ?

— Il ne fait pas ce qu’il veut, répliqua Lily. Donne tes jambes.

C’était pour le pantalon festonné qui tombait sur les bas blancs, rayés d’azur. Puis vinrent les bottines, une paire de joyaux.

— Père est donc malheureux ? demanda encore la fillette.

— Oui, puisqu’il est loin de toi… Au corset !

C’était Lily qui avait fait le corset, calculé pour ne point gêner cette chère et frêle taille ; c’était Lily qui avait brodé le fichu et la collerette.