Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
221
L’AVALEUR DE SABRES

à force de tendresse. Petite-Reine joignit ses douces mains et dit, sans s’arrêter ni se tromper, cette belle prière dont j’ai parlé, qui avait deux lignes, ni plus ni moins :

« Mon Dieu, je vous donne mon cœur. Bonne Vierge, mère de Dieu, je vous aime bien, rendez-moi mon petit père. »

En bas madame Hureau, la laitière, faisait son commerce sous la porte et racontait aux voisins le réveil du petit ange.

— C’est trop joli, quoi, disait-elle, la fille et la mère, ça fait peur !

À trente pas de là, au milieu des décombres d’une maison démolie, une femme, pauvrement habillée, et coiffée d’un béguin à voile bleu, vint s’asseoir sur une pièce de bois. La laitière la montra aux voisines en disant :

— Depuis ce matin, voilà deux fois qu’elle vient rôder, c’te paroissienne-là. Elle regarde la maison. Une drôle de touche, pas vrai ? ça doit s’avoir échappé de la Salpêtrière. Je parie qu’on ne lui donne pas quinze cents livres de rentes à chaque fois qu’elle éternue !

Saladin, grimé et costumé en vieille femme, faisait pourtant de son mieux pour prendre une tournure décente sous son déguisement. Il regardait en effet la maison. Il avait déjà reconnu la jolie petite dame de la veille à la fenêtre du troisième étage.

Il attendait. L’affaire marchait.


VI

La cerise


Après la prière, ce fut la toilette. Petite-Reine aurait mieux aimé jouer avec les belles branches de lilas, mais déjà, sur le pied du lit, toutes les diverses pièces de son costume mignon étaient rangées.

— Mère, pourquoi m’habiller de si bonne heure ?

Elle parlait comme une femme et la Gloriette lui expliquait tout.

— Parce que, chérie, tu vas aller toute la journée au Jardin des Plantes.

— Avec toi ? quel bonheur !

— Non, avec madame Noblet qui mène les enfants.

Ici, une moue. Lily sourit. Les mères aiment tant qu’on les regrette.

Lily mit les pieds de l’enfant dans une large cuvette et commença les ablutions à grande eau.

— Et toi, dit Petite-Reine, tu vas rester ici ?

— Moi, je vais aller reporter de l’ouvrage. Et nous aurons de l’argent. Et je te mènerai où tu sais bien, faire faire ton portrait pour l’envoyer à petit père.

On y avait été déjà une fois, chez le photographe, mais Petite-reine, trop enfant, avait bougé.

Et dans l’épreuve, c’était un nuage que la Gloriette tenait entre ses bras.

Seulement, on n’avait pas jeté l’épreuve parce que, je ne sais comment, le nuage souriait.