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L’AVALEUR DE SABRES

En arrivant il s’était fort étonné de ne trouver ni Annibal ni la danseuse de corde.

Saturne et Jupiter, effrayés par la colère terrible qui lui montait au cerveau, s’étaient mis à chercher. Saphir avait laissé entrouverte la porte des appartements de la duchesse, et les deux Noirs, guidés par le bruit des voix, n’eurent pas de peine à retrouver sa piste.

Le lecteur sait le reste.

Au milieu de la chambre de monsieur le duc, il y avait sur la table une bouteille de rhum débouchée et un verre à demi plein.

Saphir fut déposée sur le lit où déjà une fois on l’avait étendue.

Les deux Noirs, remerciés par un dernier coup de cravache, furent mis dehors, et le duc poussa la porte sur eux, après quoi, il vint vider son verre de rhum.

Il avait toujours ce rire hébété des gens ivres. En allant de la table au lit, il grommela quelques mots portugais, entremêlés de jurons.

Puis il se planta devant Saphir qui le regardait avec ses grands yeux épouvantés, et se dit à lui-même :

Raios ! Annibal avait raison, voici une belle créature !

Et, sans autre préambule, ses deux bras voulurent enlacer la taille de Saphir.

Mais à quelque chose malheur est bon, dit le proverbe, et les dures traverses de l’adolescence de Justine l’avaient faite du moins forte comme un homme.

C’était un de ces grands lits carrés qui n’ont pas de ruelle. Saphir raidit sa taille souple et, se débarrassant de l’étreinte du sauvage, elle le repoussa pour sauter d’un bond de l’autre côté du lit.

Le duc n’en rit que plus fort.

Apre ! dit-il, j’aime cela ; elles sont ainsi dans mon pays, les macacas de Diabo ! Ah ! ah ! il va falloir se battre, battons-nous, ma belle, je ne déteste pas les griffes de panthères ni les dents de tigresses.

Il se versa un verre de rhum, et l’avala d’un trait, puis il fit le tour du lit.

De ce côté, Justine n’avait pas d’issue. Elle essaya de bondir une seconde fois par-dessus la couverture, et ce lui était chose aisée, mais monsieur de Chaves la ressaisit par sa robe qui craqua sans se déchirer. Seulement les dernières agrafes de son corsage, arrachées toutes à la fois, découvrirent son fichu, tandis que ses cheveux dénoués inondaient ses épaules.

Elle tomba sur le lit dans une pose qui la faisait splendide à voir.

Le duc poussa un râle de faune.

— Sur mon salut éternel, dit Justine dont les deux mains étaient déjà prisonnières, je suis la fille de votre femme !

— Tu mens, répondit le duc en poursuivant sa victoire, c’est l’autre qui a le signe. Ah ! ah ! bestiaga ! l’autre n’est pas si méchante que toi. Justine parvint à dégager une de ses mains et d’un geste désespéré, elle arracha elle-même le fichu, dernier voile qui défendît sa poitrine.

Le duc recula ; il ne pouvait plus douter, mais ses yeux avides s’injectèrent de sang et un rauquement gronda dans sa gorge.

Burra ! dit-il, que me fait cela ? tu es trop belle !

Ce qui aurait dû arrêter sa brutale passion l’exalta jusqu’au délire. Il