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LES HABITS NOIRS

Aussitôt que Gioja et ses compagnons eurent quitté la chambre à coucher de monsieur le duc de Chaves, mademoiselle Saphir ouvrit les yeux et releva sa tête pâle.

La belle statue s’animait. Il y avait dans son regard une résolution virile. Un instant, elle écouta le bruit des pas qui s’éloignaient, puis elle sauta hors du lit et se dirigea à son tour vers la sortie.

— Il n’y a qu’un seul corridor, dit-elle, et je dois retrouver aisément l’appartement de madame la duchesse de Chaves.

Ses pas qui, d’abord, avaient chancelé, se raffermirent, à mesure qu’elle marchait. Il y avait en elle un courage solide, et la pensée d’envoyer du secours à Hector la soutenait.

La galerie était longue et plongée dans une obscurité presque complète. Tout au bout, cependant, on voyait luire encore, par éclats intermittents, la lampe mourante.

Saphir parvint jusqu’à cette place où le vicomte Gioja avait dit : Doucement ! n’éveillons pas madame la duchesse.

Il y avait là plusieurs portes. Au hasard, Saphir tourna le bouton de l’une d’entre elles qui s’ouvrit.

C’était une chambre obscure, à l’extrémité de laquelle une large ouverture, garnie de portières relevées, laissait voir une seconde pièce, où une lampe brillait.

La lampe était posée sur un guéridon, auprès d’un lit qui supportait une femme étendue.

Madame de Chaves avait la tête appuyée contre sa main et lisait. Saphir pouvait voir son beau visage languissant et décoloré.

Elle appuya sa main sur sa poitrine où son cœur bondissait.

Madame de Chaves semblait absorbée profondément par sa lecture. Nous connaissons la lettre qu’elle tenait à la main ; elle avait été écrite, cette nuit même, dans la salle d’attente du rez-de-chaussée, par l’un de ces deux personnages qui avaient demandé madame la duchesse, puis monsieur le duc avec tant d’instance.

La lettre était ainsi conçue :


« Madame, voilà bien des fois que je viens. C’est moi qui vous ai envoyé le portrait de Lily tenant Petite-Reine dans ses bras.

« Petite-Reine n’est pas morte, Justine vit, et vous la retrouverez digne de vous, malgré le bizarre métier auquel le sort l’a réduite. Elle est avec de pauvres bonnes gens qui lui ont été secourables et à qui vous devez de la reconnaissance. Elle danse sur la corde. Elle a nom mademoiselle Saphir.

« Madame, je veux vous voir parce qu’un grand danger la menace — et vous aussi peut-être. Je reviendrai demain matin de bonne heure. Fussiez-vous malade à la mort, il faut que je sois introduit près de vous. »


Ce message était signé d’un nom que Mme de Chaves avait lu tout de suite, avant même de parcourir les premières lignes, et qui éveillait en elle un monde de souvenirs : Médor.

Médor ! — Autrefois le brave garçon ne savait pas écrire, et l’écriture de cette lettre ressemblait… Était-ce possible ?

Lily se sentait devenir folle.

Elle lisait pourtant, laborieusement, le cœur serré par l’angoisse, car