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L’AVALEUR DE SABRES

Les querelles entre deux fabricants célèbres ont révélé le néant des serrures à combinaisons et à secret. Ce sont des obstacles insurmontables pour les profanes, mais les véritables adeptes dans l’art s’en moquent comme d’un simple loquet qu’on soulève avec une ficelle.

Un de ces messieurs portait une trousse mignonne et coquette autant que celles des chirurgiens à la mode. Il opéra. La serrure tâtée, sondée, caressée, livra son secret et la caisse ouverte montra des piles d’or avec de monstrueux paquets de billets de banque.

Saladin et les membres du Club des Bonnets de soie noire étaient bien renseignés. La caisse de monsieur le duc de Chaves contenait exactement les deux sommes annoncées.

Gioja et ses compagnons se chargèrent à la hâte comme des mulets et n’eurent rien de plus pressé que de déguerpir.

— Mon avaleur de sabres, dit Gioja en sortant le premier, va trouver l’oiseau d’or déniché. Je suis fâché de ne pas voir la figure qu’il fera… À la grille !

La pluie tombait à torrents. Malgré le bruit du vent et de l’orage, Gioja s’arrêta pour écouter une sorte de tumulte qui avait lieu dans l’aile habitée par monsieur le duc de Chaves.

Il tourna la tête vers les fenêtres de Son Excellence et vit, sur les carreaux, des ombres qui se mouvaient violemment.

— Qu’ils s’arrangent ! murmura-t-il.

Et il continua son chemin vers la grille, en disant à l’homme porteur de la trousse :

— Fais-nous sauter cette dernière serrure !

Mais à ce moment-là même, il recula effrayé en se trouvant devant une porte ouverte.

Son hésitation ne dura qu’un instant.

— Éteignez la lanterne, dit-il, armez-vous, traversons le bosquet et sauve-qui-peut !

Ils s’élancèrent, en effet, sous les arbres.

Dans cette nuit sombre, et parmi les mille fracas de l’orage qui allait redoublant, le bruit de leurs pas se perdit bientôt.

Mais, au bout de quelques secondes, on aurait pu entendre comme un éclat de rire dans ces ténèbres diaboliques.

— Ah ! dit une voix, tu voulais voir la figure de l’avaleur de sabres !

Un éclair, déchirant les nuages, éclaira pour un instant un tableau ainsi fait ; quatre hommes séparés par un large espace et entourés chacun par plusieurs bandits qui avaient le couteau levé.

À l’écart, les membres du club Massenet formaient un groupe immobile, au milieu duquel la figure blanche de Saladin ressortait sous ses cheveux noirs.

Tout rentra dans la nuit.

— Merci, dit encore la voix qui parlait à Gioja, tu as fait pour nous toute la besogne.

Pendant que les échos prolongeaient l’explosion, la voix ordonna :

Coupez la branche !

Il y eut des cris étouffés, un râle plaintif, puis le silence.