Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
476
LES HABITS NOIRS

certaine toilette, et, dans la gamme de l’ignoble, leurs visages n’ont pas le même genre de bassesse que les visages des simples bandits.

Il y a en eux du maquignon et de l’expert en œuvres d’art.

L’admirable beauté de la jeune fille, soudainement illuminée par l’éclat de la lampe, leur sauta aux yeux comme un éblouissement.

Ils eurent ce petit cri discret et pieux du dilettante, saluant l’apparition de la diva.

— Ah ! firent-ils à l’unanimité, morceau de roi ! combien ?

Gioja cligna de l’œil.

— Autant d’or et de billets de la Banque de France, répondit-il, que nous pourrons en emporter à nous quatre dans nos poches, sous nos chemises, dans les formes de nos chapeaux, dans nos mouchoirs et dans des serviettes : il y a en bas trois millions cinq cent mille francs qui sont à nous.

Les regards avides des trois compagnons du vicomte demandaient une explication.

Gioja se rapprocha de Saphir et passa par deux fois la lumière de la lampe au-devant de ses yeux.

— Une belle statue de marbre ! murmura-t-il.

Aucun muscle du visage de la jeune fille n’avait en effet tressailli.

— Elle se gardera elle-même, ajouta le vicomte Annibal en reposant la lampe sur la table, monsieur le duc se chargera de l’éveiller. Nous avions besoin d’elle pour entrer dans la place, maintenant notre besogne est ailleurs.

Il marcha vers la porte et les autres le suivirent. Le dernier coupa une bougie et la mit allumée dans sa lanterne.

Ils traversèrent les corridors à pas de loup et descendirent l’escalier de service situé du même côté que le pavillon en retour, où madame la marquise de Rosenthal faisait sa résidence.

Pendant qu’ils descendaient, ils purent entendre le bruit de la porte cochère, ouverte à deux battants et une voiture roulant sur le pavé de la cour.

— Déjà Son Excellence ! s’écria Gioja. Il faut nous hâter, mes braves. Du reste, vous serez traités en enfants gâtés ; on a enlevé tous les cailloux de votre route. Les deux caissiers brésiliens ont bu ce soir des grogs qui leur donneront de beaux rêves, jusqu’à ce qu’on les éveille à coups de bâton.

Ils arrivaient en bas. Le jardin fut traversé en suivant le mur du rez-de-chaussée. Vers le milieu de la route, Gioja s’arrêta pour prêter l’oreille.

— C’est la pluie, dit un de ses trois compagnons.

De grosses gouttes, en effet, recommençaient à tomber et sonnaient en frappant les branches des arbres.

Nos quatre rôdeurs de nuit entrèrent dans le vestibule des bureaux. Il y avait parmi eux au moins un artiste de talent, car la porte principale fut crochetée en un clin d’œil.

Ils pénétrèrent dans les bureaux mêmes et rendirent tout d’abord une visite de prudence au caissier et au sous-caissier qui dormaient comme des souches, à droite et à gauche de la pièce où se trouvait la caisse.

— Le grog était bien préparé, dit Gioja. À l’ouvrage !