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L’AVALEUR DE SABRES

— Elle ressemble à l’idée que je me suis faite, murmura-t-il, je la voyais ainsi en rêve… si c’était…

Il n’acheva pas et d’un geste brusque il enleva le bâillon.

— Qui êtes-vous, mon enfant ? demanda-t-il d’une voix troublée.

— Je suis, répondit mademoiselle Guite, qui se redressa dans son orgueilleuse colère, je suis madame la marquise de Rosenthal, et prenez garde à vous !

L’étranger respira comme si on lui eût enlevé un poids de dessus le cœur.

En un tour de main, madame la marquise de Rosenthal fut bâillonnée de nouveau et liée comme un paquet.

L’étranger, après l’avoir déposée sur le divan, éteignit la lampe, sortit et referma la porte à clef.

La pluie recommençait à tomber, et le vent qui criait dans les arbres annonçait un redoublement de bourrasque.

L’étranger siffla doucement ; Médor accourut.

— Il y a une porte ouverte là, dit-il en montrant le corps de logis du côté des appartements de madame de Chaves, où l’on voyait maintenant briller de la lumière.

— Qu’as-tu vu ? demanda le maître.

— Rien du dehors, mais, de l’intérieur, j’ai vu ouvrir cette porte. Quatre hommes sont sortis avec une lanterne qui m’a montré une figure de connaissance : le vieux jeune premier empaillé que j’avais vu avec monsieur le duc sur l’estrade du théâtre de mademoiselle Saphir. Les hommes ont longé la maison à pas de loup et sont entrés là-bas.

Il désignait du doigt la partie du rez-de-chaussée affectée aux bureaux de la Compagnie brésilienne.

— Je me suis coulé derrière eux, ajouta-t-il, et j’ai entendu un bruit comme si on crochetait une porte !

— C’est tout ?

— Non. L’empaillé disait : « Dépêchez-vous et n’ayez pas peur, monsieur le duc est trop occupé pour nous entendre. »

Ils avaient marché en parlant jusqu’à la porte ouverte située sous les fenêtres de l’appartement de monsieur de Chaves.

Le maître hésita un instant, puis il entra en disant :

— Fais bonne garde. Je ne sais pas où je vais, mais il y a quelque chose de plus fort que moi qui me pousse.

Il monta à tâtons un escalier de service.

Sur le carré qui terminait cet escalier, il s’arrêta pour écouter et entendit un bruit prochain qui ressemblait à une lutte.

Son regard qui cherchait de tous côtés rencontra une ligne étroite, à peine perceptible, qui brillait à vingt pas de lui, entre un seuil et une porte.

Au moment même où il s’ébranlait pour aller de ce côté, un cri déchirant se fit entendre précisément derrière cette porte — un cri de femme.