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LES HABITS NOIRS

— Monsieur le marquis me l’avait bien dit ! ce sont des gaillards qui entendent leur affaire. Maintenant les autres vont venir.

Les deux grimpeurs, cependant, redescendaient tranquillement l’avenue Gabrielle comme deux travailleurs qui ont accompli leur besogne.

Sous les arbres, le maître et son paysan avaient suivi cette scène avec un étonnement plein de curiosité.

— Il va se passer quelque chose ici ! dit le maître.

— Ça, c’est sûr, répondit le paysan. J’ai idée qu’il vaut mieux pour nous attendre de ce côté que de l’autre.

— Peut-être… attendons.

— Si on attend, reprit le paysan, comme il y a une éternité que je n’ai fumé et qu’il n’y a pas un chat aux environs, je demande la permission d’en allumer une.

Le maître ne répondit point. Le paysan bourra sa pipe et frotta sur son genou une allumette chimique qui prit feu aussitôt.

Ils étaient sur la lisière du bosquet.

Ils entendirent un éclat de rire argentin de l’autre côté de la grille et le bruit d’une clef dans la serrure.

— À la bonne heure ! dit mademoiselle Guite, voilà un signal qui se voit mieux quand on a pris la précaution d’éteindre les lanternes !

La porte ouverte tourna sur ses gonds.

— Eh bien ! ajouta mademoiselle Guite, impatiente.

Le maître mit un doigt sur sa bouche et traversa le premier l’avenue Gabrielle. Le paysan suivait.

— Tiens ! fit mademoiselle Guite, vous n’êtes que deux. Donnez-vous la peine d’entrer.

« Ah ! saperlotte ! s’interrompit-elle, étourdie que je suis ! je ne sais pas encore bien mon métier de factionnaire. J’allais oublier les mots de passe. Voyons, tempête ! que répondez-vous ?

Elle faisait mine de défendre l’entrée en riant, car elle n’avait aucune espèce d’inquiétude.

L’étranger habillé de noir, au lieu de répondre, lui planta la main sur la bouche si hermétiquement que son premier cri même fut étouffé.

— Ton mouchoir, Médor ! dit-il tout bas, et vite ! bâillonne-moi ça en deux temps !

Mademoiselle Guite voulut se débattre, mais les deux hommes étaient robustes. Le mouchoir, solidement lié sur sa bouche, la rendit muette. Le maître l’enleva dans ses bras.

— Cherche une porte ouverte, ordonna-t-il à Médor.

Celui-ci se mit en quête aussitôt et n’eut pas de peine à trouver l’entrée du pavillon en retour que mademoiselle Guite, en sortant, avait laissée entrebâillée.

Le maître passa le seuil, après avoir dit au paysan :

— Reste-là, guette la maison et surtout le dehors.

Il déposa sur un divan la jeune fille qu’il tenait entre ses bras. La lampe était restée allumée ; il la regarda et eut un mouvement de surprise.

Cela ne l’empêcha pas d’arracher les cordons de tirage des fenêtres, dans l’intention évidente de garrotter sa prisonnière.

Mais, avant de commencer ce travail, il regarda encore la jeune fille qui se débattait faiblement et une expression émue vint à son visage.