Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
470
LES HABITS NOIRS

hommes en descendirent dont l’un semblait être un paysan proprement couvert ; l’autre était vêtu de noir des pieds à la tête.

C’était un homme de grande taille, qui portait haut, et dont les mouvements avaient une sorte de raideur. Ses longs cheveux étaient blancs, sa barbe était grise.

C’était sans doute le maître du paysan endimanché.

Ils demandèrent chez le concierge madame la duchesse de Chaves, et on leur répondit que madame la duchesse, très sérieusement indisposée, ne pouvait point recevoir.

Le maître insista de ce ton imposant, quoique poli, qui d’ordinaire brise la résistance des valets, mais tout fut inutile.

— À défaut de madame la duchesse, dit-il, je désire voir monsieur le duc.

— Monsieur le duc est absent, répondit le concierge.

— À l’heure qu’il est, il ne peut manquer de rentrer bientôt.

— Monsieur le duc rentre plus souvent le matin que le soir.

L’homme vêtu de noir et son paysan se consultèrent.

Le maître dit, mais cette fois avec une autorité qui n’admettait pas de réplique :

— L’affaire pour laquelle je viens est de la plus haute importance. Elle est importante pour madame la duchesse et pour monsieur le duc, bien plus encore que pour moi. Veuillez me faire entrer quelque part où je puisse écrire ou attendre.

Le concierge n’osa pas refuser. Dans l’accent et surtout dans l’aspect de cet homme, il y avait quelque chose qui faisait froid et qui en même temps subjuguait.

Quand le concierge revint vers sa femme il lui dit :

— Je viens de voir quelqu’un qui a l’air d’un revenant.

Pour obéir au désir de l’étranger, on traversa la cour et la salle d’attente de la Compagnie brésilienne fut ouverte. Sur la table, il y avait là tout ce qu’il faut pour écrire.

Le maître s’assit devant la table ; le paysan se tenait debout à l’écart ; ils ne se parlaient point.

Le maître écrivit une lettre qu’il déchira et dont il brûla ensuite les fragments à la bougie. Il commença une seconde lettre qui eut le même sort. Quand il eut fini la troisième, dans le courant de laquelle sa plume avait hésité bien des fois, onze heures sonnèrent à la pendule du salon voisin.

— J’ai signé ton nom, dit le maître au paysan ; elle s’en souviendra plus volontiers que du mien.

Le paysan ne répondit que par un signe de tête qui approuvait.

Le maître plia la lettre et mit l’adresse : à madame la duchesse de Chaves, pour lui être portée sur l’heure.

Puis il appuya sa tête contre sa main et sembla se perdre dans de profondes réflexions.

Cela fut long, car le paysan dit, après un silence qui lui avait semblé sans fin :

— Voilà minuit qui sonne.

Le maître se leva en sursaut.