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L’AVALEUR DE SABRES

Mazas d’un pas tranquille et discret. Similor et Échalot l’auraient croisée sur le trottoir sans reconnaître en elle leur coupable fils qui se disait :

— Je vas manger deux sous de pain, et il me restera 60 centimes pour acheter du sucre d’orge à la petite. Ah ! elle me trouve laid ! Va bien ! l’affaire mitonne.

C’était une maison de chétive apparence, située à une trentaine de mètres de l’angle formé par la rue Lacuée et la place Mazas. Tout ce quartier était alors en voie de reconstruction et l’angle lui-même, entouré d’une barrière en planches, attendait une bâtisse nouvelle.

Au troisième étage de la maison, il y avait une petite chambre, éclairée par deux fenêtres dont l’une s’ouvrait au levant, l’autre au midi. Comme aucun obstacle ne masquait ces croisées, la seconde regardait le Jardin des Plantes et toute une part du vieux Paris, la première voyait, par-dessus Bercy et Ivry, les campagnes riveraines de la Seine.

Tout était clair, net et propre dans cette chambrette où la pauvreté avait je ne sais quel air d’élégance. Petite-Reine dormait dans un berceau d’osier, entouré de rideaux blancs comme neige et qui cachait à demi la couchette de sa mère : un de ces lits en fer qui ont atteint, ce semble, le dernier degré du bon marché.

Une commode, une table de couturière et quelques chaises formaient l’ameublement. Tout cela souriait, inondé de gai soleil. Il n’y avait de triste qu’un meuble en bois de rose qui restait là, parlant d’un luxe évanoui, et faisant contraste avec tout ce qui l’entourait.

La Gloriette était levée depuis longtemps déjà. On le voyait à l’ordre établi dans le modeste ménage. Elle avait savonné des chemises, des collerettes, des bas mignons appartenant à Petite-Reine ; les souliers de Petite-Reine étaient cirés et sa gentille toilette attendait, bien brossée.

Que disions-nous qu’il était triste le meuble en bois de rose ! Il était joyeux plutôt et, certes, Lily ne regrettait rien en le regardant. C’était l’armoire de Petite-Reine, il contenait tous les objets à l’usage de l’enfant adoré qui était l’âme de cette demeure.

Ah ! qui pourrait dire comme on la chérissait, comme on était follement fière d’elle, et heureuse, et facile à glisser sur la pente d’or des beaux rêves d’avenir !

Il y avait un deuil dans le passé, un grand amour brisé, une douleur que rien ne devait éteindre.

Mais supposez le cœur le mieux doué, vous y trouverez un battement qui domine. Chaque femme surtout a une corde qui vibre plus passionnément, un attrait, un élan supérieur à tous autres : une vocation dans la passion.

Celle-là est mère avant tout, celle-ci, avant tout, est amante.

La Gloriette était mère jusqu’au culte, jusqu’au délire.

Elle avait aimé Justin, elle avait pleuré Justin, son premier, son unique ami, mais ce berceau, cette allégresse, cette idolâtrie !

J’en ai vu qui restaient inconsolables et mornes à regarder l’enfant dont le père n’était plus ; j’en ai vu qui regrettaient le père avec assez d’emportement furieux pour prendre l’enfant en horreur.

La Gloriette avait souri parmi ses larmes, dès le premier jour de son veuvage, penchée qu’elle était en un recueillement dévot au-dessus du sommeil de Petite-Reine.