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LES HABITS NOIRS

— Ordre du Maître, dit-il en s’approchant de la lumière pour lire :

« Nos amis doivent se tenir en permanence au lieu ordinaire de la réunion, et m’attendre fût-ce jusqu’au jour… »

— C’est fait, s’interrompit Similor, vous n’avez pas envie d’aller vous coucher, pas vrai, mes vénérables ?

Il reprit :

« Les simples doivent être réunis chez le marchand de vin de la place Saint-Michel, prêts à partir au premier signal. »

— C’est fait, dit à son tour Comayrol, ils sont là-bas douze hommes de premier choix et dont le Maître sera content.

— Nous avons encore un assez joli personnel, ajouta le bon Jaffret, par-ci par-là, dans les coins.

— Je suis chargé, poursuivit Similor, de porter moi-même le signal à ces braves. C’est moi qui ai l’honneur de mener l’expédition.

Samuel traça une ligne de chiffres sur une page arrachée à son calepin et la lui remit.

— Le chef des simples est le vieux Coyatier, dit-il. Vous lui donnerez cela et vous direz : « Marchef, au galop ! »

— Bon ! fit Similor avec importance. Compris. Je suis chargé encore de vous faire savoir, dans le cas où ça vous plairait, de vous mêler à la polka, que le signal pour ouvrir la grille, là-bas, avenue Gabrielle, est d’allumer sa pipe avec une allumette chimique, et que les mots de passe sont tempête — tant mieux.

Tout le monde s’inclina.

— Je suis chargé enfin, acheva Similor, de rapporter au Maître les noms de ceux qui manquent à la réunion de ce soir.

— Il ne manque que notre cher Annibal, répondit Jaffret, et il va peut-être venir.

— Quant à ça, non, répliqua vivement Similor. Y a-t-il longtemps qu’on n’a coupé la branche chez vous ?

Il y eut dans le cercle des Habits Noirs un moment de singulier malaise,

— Très longtemps, répondit Samuel sèchement.

— Eh bien ! dit Similor en acceptant un second verre de punch qu’on ne lui offrait point, ça vous paraîtra comme si c’était du fruit nouveau. À vous revoir, mes vénérables, et soyez bien sages !

Il remit son chapeau sur sa tête, gagna la porte d’un pas théâtral et sortit.

Quand il fut dehors, Jaffret enfla ses maigres joues et regarda tour à tour ses compagnons. L’effroi était peint sur tous les visages.

— Oui, oui, grommela-t-il avec abattement, nous sommes des vénérables !

— Vayadious ! s’écria Comayrol, s’il ne s’agit que de casser quelque chose ou quelqu’un…

— Annibal a désobéi, prononça froidement le Dr Samuel.

Jaffret glissa vers lui un regard aigu et murmura de sa voix la plus douce :

— Le fait est qu’il a désobéi.

Le sang monta aux joues de Comayrol, mais il ne parla plus. La défiance était née au sein même du cénacle.