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LES HABITS NOIRS

Elle se tut. Hector restait pensif à ses côtés.

— Vous ne dites rien, murmura-t-elle.

Puis changeant d’idée tout à coup :

— Moi, s’écria-t-elle, j’aurais un moyen de me faire reconnaître par ma mère, et c’est en songeant à cela, à cela qui prouve si bien la bonté de Dieu, que j’ai voulu un jour me rapprocher de Dieu. Je suis pieuse, Hector, parce que Dieu m’a marquée d’un signe visible qui me rendra tôt ou tard les baisers de ma mère.

Hector, depuis quelques instants, était en proie à une singulière agitation. Il se souvenait de l’entretien qu’il avait eu l’avant-veille dans cette solitaire avenue du bois de Boulogne avec Mme la duchesse de Chaves.

Les amoureux croient aux miracles ; il était ému jusqu’à la fièvre ; il pensait :

— Si c’était elle !

À son insu, ces mots vinrent jusqu’à ses lèvres.

— Que dites-vous ? demanda Saphir avec reproche, vous ne m’écoutez plus.

Hector se laissa glisser à genoux et prit deux belles petites mains qui frémirent entre les siennes.

— Je ne sais pas si je suis fou, murmura-t-il, je vous aime tant, Marie, et il m’a été si doux, si consolant de causer de vous avec elle !

— Avec qui ? demanda Saphir, qui essaya un mouvement pour retirer ses mains.

— Avec quelqu’un qui vous aime déjà, répondit le jeune comte, parce que je vous aime, avec ma seule amie, avec une femme si bonne, si belle…

— Si belle ! répéta Saphir.

Elle ajouta tout bas :

— Je la connais, je l’ai vue ; c’est elle qui était dans la calèche. Vous suiviez à cheval ; vous vous penchiez, souriant et heureux, à la portière.

— Route de Maintenon à Paris ! s’écria Hector, c’est vrai… n’est-ce pas qu’elle est belle ?

— Trop belle ! répliqua Saphir d’une voix changée. Je ne vous ai pas encore dit de qui j’étais jalouse…

— Vous ! jalouse d’elle !

— Dites-moi son nom.

— Madame la duchesse de Chaves.

— Ah ! murmura la jeune fille, une duchesse ! et vous songiez à elle auprès de moi !

— Je songeais à elle et c’était songer à vous, Marie, ma bien-aimée, Marie ! De même que vous me dites aujourd’hui : je cherche ma mère, hier elle me disait : je cherche ma fille…

— Sa fille ! s’écria Saphir ; elle ! si jeune !

— Sa fille qui aurait votre âge, sa fille qui fut enlevée, comme vous, à Paris, et à la même époque que vous.

La tête de Saphir tomba sur l’épaule d’Hector.

— Mon Dieu ! murmura-t-elle. La duchesse de Chaves ! ce nom n’éveille rien en moi… et pourtant, voyez comme mon cœur bat ! S’il se pouvait que ma mère me fût rendue par vous ! Si Dieu voulait… Ah ! au secours !