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L’AVALEUR DE SABRES

Mais Hector l’interrompit ; la passion rompait la digue qui avait arrêté sa parole :

— Vous savez que je vous aime, prononça-t-il à voix basse. Les instants trop courts que j’ai passés près de vous à Fontainebleau sont toute ma vie. Je vous aime telle que vous êtes, et je ne respecte rien au monde autant que vous.

Saphir retira sa main. Il y eut dans son sourire une nuance de sarcasme.

— Pas même…, commença-t-elle.

Mais elle n’acheva pas sa phrase et dit doucement :

— C’est que je suis jalouse.

Hector aurait voulu s’agenouiller. Ce n’était pas le lieu. Saphir lui adressa un petit signe de tête comme pour prendre congé.

— Vous reverrai-je ? demanda-t-il en tremblant.

— Je viens à la paroisse tous les matins à la même heure.

— Je voudrais causer avec vous, dit-il.

— Tous deux tout seuls, interrompit Saphir, comme là-bas, sous les grands arbres ?

Il resta muet ; elle ajouta en souriant :

— Moi aussi, je le voudrais.

Puis après une seconde de réflexion :

— Ce soir, dit-elle, à dix heures, derrière le théâtre, ma fenêtre s’ouvre à droite ; venez, je vous attendrai.

Elle s’éloigna d’un pas gracieux.

Hector resta comme étourdi de son bonheur.

Ce fut leur seconde entrevue. Hector s’était senti moins timide, lors de la première, et il s’en étonnait.

Leur troisième entrevue, je vais la raconter.

Dix heures du soir venaient de sonner à l’horloge des Invalides. Sur l’esplanade presque déserte, quelques baraques s’obstinaient à faire tapage, appelant en vain les curieux clairsemés.

Le théâtre Canada, au contraire, était clos et muet. Une large bande, collée à la devanture, annonçait relâche par indisposition de mademoiselle Saphir.

Derrière le théâtre, il y avait un espace solitaire, encombré par les équipages de l’établissement Canada, et à droite duquel stationnait l’immense voiture qui servait de maison à la famille. Au centre de la voiture s’ouvrait une petite fenêtre carrée, au-delà de laquelle on voyait la lumière.

Hector parut au bout du passage étroit qui contournait la baraque et communiquait avec l’esplanade. Au moment où il se montrait, deux ombres qui étaient restées jusqu’alors immobiles, collées, pour ainsi dire, à l’une des roues de la maison Canada, se baissèrent et glissèrent sous la voiture, de l’autre côté de laquelle un homme attendait.

— Nous ne sommes pas seuls, ce soir, en chasse, dit une des ombres.

Une autre répondit :

— Pas d’imprudence ! attendons et profitons.

Hector de Sabran avait traversé l’espace désert. Il n’eut pas besoin d’appeler. Au bruit léger de ses pas, une gracieuse figure de jeune fille se détacha en silhouette sur le fond clair de la fenêtre.