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LES HABITS NOIRS

distraction, et, la messe finie, elle se retirait à pied comme elle était venue.

On est curieux à la paroisse. Quelques bonnes âmes avaient peut-être essayé de savoir où demeurait cette charmante étrangère. Je crois bien qu’on l’avait suivie, mais ceux ou celles qui la suivaient, arrivés à la place de l’esplanade, l’avaient toujours perdue au milieu des baraques rassemblées là pour la fête.

Impossible de deviner où elle allait, à moins qu’elle n’eût son domicile dans une de ces maisons roulantes affectées aux saltimbanques, ce qui était, en vérité, complètement inadmissible.

Ce matin, ceux qui avaient la bonté de faire attention à elle la trouvèrent plus pâle. Sur son joli visage il y avait quelque chose de languissant.

Après la messe finie, elle resta un instant absorbée dans sa prière d’action de grâces, puis elle rabattit son voile et gagna le bénitier.

Auprès du bénitier, un jeune homme très beau et très élégamment vêtu se tenait debout. Il n’y avait presque plus personne à l’église, mais, parmi les rares fidèles qui restaient, ceux qui étaient coutumiers du mignon péché de curiosité purent voir la jeune étrangère rougir, sous son voile, à l’aspect du brillant cavalier.

Rougir — et sourire.

Le cavalier trempa le bout de ses doigts dans la conque et offrit de l’eau bénite, en rougissant plus fort que l’inconnue elle-même, mais en souriant aussi. Leurs mains se touchèrent et ils firent ensemble le signe de la croix.

Ensemble ils sortirent.

Comme toujours, mademoiselle Saphir prit le chemin de l’esplanade et le cavalier marcha à ses côtés.

Les curieux, s’il y en avait aujourd’hui, durent s’étonner de ce fait : ils ne se parlaient point.

La jeune fille avait gardé son beau sourire, le jeune homme semblait souffrir d’un insurmontable embarras.

La route se fit ainsi jusqu’au bout de la rue Saint-Dominique. Là, mademoiselle Saphir s’arrêta et se tourna vers Hector de Sabran qui murmura, plus confus, plus timide que le jour où il l’avait vue pour la première fois, au théâtre, en compagnie de ses camarades du collège ecclésiastique du Mans :

— Allons-nous donc nous séparer déjà ?

Au lieu de répondre, mademoiselle Saphir lui dit en lui tendant la main :

— Il y avait bien longtemps que je vous attendais.

Une expression de ravissement se répandit sur les traits d’Hector.

Il cherchait encore des paroles et n’en trouvait point ; il avait dans le cœur un vrai, un grand amour.

— Nous allons nous quitter, reprit Saphir sans lui retirer sa main, n’avez-vous rien à me dire ?

— Vous êtes pâle, balbutia Hector, je vous trouve changée.

— C’est que je suis un peu malade, répondit-elle, depuis deux jours je ne danse pas.

Hector détourna les yeux.

— Je n’aurais pas dû vous parler de cela, fit-elle avec son charmant sourire, je pense bien que vous avez honte…