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L’AVALEUR DE SABRES

Elle prit dans sa caisse quatre cents francs qu’elle mit dans la main de Justin.

— Tu commences demain, six heures du matin, dit-elle.

— Non, répondit le chiffonnier, dans trois jours.

— C’est juste, fit-elle, il faut le temps de boire tes quatre ans. Dans trois jours soit, va-t’en.

Justin sortit.

Sur le seuil il retrouva Médor à qui il serra les deux mains en disant ces seuls mots :

— Nous entrerons.


XVII

Le guet-apens


Le matin de ce jour, vers huit heures, mademoiselle Saphir, mise très simplement et même très modestement, selon son habitude, était agenouillée dans la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou. Ses beaux cheveux blonds, coiffés en bandeaux, dissimulaient leur prodigue abondance sous un petit chapeau de taffetas noir, sans fleurs ; elle avait une robe de mousseline de laine noire et un mantelet de la même étoffe.

Ceux qui parcourent aux heures matinales les rues du faubourg Saint-Germain y rencontrent beaucoup de jeunes filles et même de jeunes femmes vêtues avec cette simplicité, surtout autour des églises. C’est en quelque sorte l’uniforme de la messe.

Le soir, le tableau change, et vous rencontreriez ces mêmes charmantes chrysalides, débarrassées de leurs coques, pourvues de leurs ailes de papillons, dans ces corbeilles fleuries et doucement balancées que les nobles attelages emportent au bois.

Seulement, à défaut d’une mère, chaque jeune dévote du faubourg a sa duègne pour la conduire, tandis que mademoiselle Saphir n’avait personne.

Depuis un peu plus d’une semaine qu’elle venait ainsi tous les jours, accomplir ses devoirs religieux à Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, les habitués de la paroisse la connaissaient déjà. On avait admiré la parfaite distinction de sa tenue, sa beauté incomparable et la convenance si digne de sa mise.

On s’étonnait de la voir mariée si jeune, car, là-bas, il n’y a pas d’autre explication à la solitude d’une jeune personne.

Et certes nul n’avait pensé, malgré la charité qui s’égare parfois dans le hardi pays des hypothèses, que cette jeune inconnue à l’air si admirablement décent pût avoir conquis son émancipation par des moyens excentriques.

On s’occupait d’elle beaucoup, et tout le monde confessait, ce qui est une note excellente, qu’elle ne semblait point s’occuper des autres.

Elle écoutait la messe pieusement, sans grimaces dévotes, mais sans