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L’AVALEUR DE SABRES

Médor resta comme accablé sous la stupéfaction. Il doutait. C’était peut-être la folie qui prenait ce pauvre homme.

— C’est ma fille ! répéta Justin avec éclat. Ma fille ! ma fille !

Il saisit les papiers d’Échalot et les feuilleta, cherchant le nom qui le fuyait.

Il marchait en même temps à grands pas solides.

Puis il s’arrêta devant Médor, confondu, pour dire avec un accent profond comme sa colère :

— Ah ! il veut aussi ma fille !

« Mène-moi à l’hôtel de cet homme, ajouta-t-il en faisant un pas vers la porte et d’une voix subitement calmée.

— C’est que…, balbutia Médor.

— Eh bien ! quoi ? mène-moi, je le veux !

— C’est bon de vouloir, murmura Médor, mais on n’entre pas dans cette maison-là ; les gens comme nous du moins.

Justin abaissa son regard sur les haillons qui le couvraient, et une rougeur épaisse vint à son visage.

Il s’arrêta et sa tête se courba.

— J’ai déjà essayé, reprit Médor et même… c’est une idée qui m’était venue : j’ai mis le portrait de la Gloriette dans une lettre et je l’ai portée à l’hôtel.

— Ah ! c’est toi ? fit Justin. J’ai bien cherché ce portrait.

Il lui tendit la main en ajoutant :

— Il était à toi aussi bien qu’à moi.

— Porte close, continua Médor, impossible d’entrer. J’y suis retourné trois fois et j’ai pensé que peut-être c’était cet homme-là qui avait reçu la lettre.

— Il faut entrer, pourtant ! pensa tout haut Justin.

Le travail inusité de la réflexion fronça violemment ses sourcils.

— Viens ! dit-il tout à coup.

Il sortit comme il était, pieds nus et la tête découverte.

Il descendit l’escalier, traversa le terrain et s’arrêta à la porte d’une masure un peu plus grande que les autres et distinguée par cette enseigne :

« Mme Barbe Mahaleur, propriétaire, bureau des locations ».

— Attends-moi, dit-il à Médor.

Et il entra.


Barbe Mahaleur, dite l’Amour-et-la-Chance, mère des chiffonniers, était assise dans son bureau devant un registre couvert d’écritures impossibles. À côté d’elle, il y avait une bouteille d’eau-de-vie et un verre à demi plein.

Mais l’alcool qui empoisonne les uns engraisse les autres. Barbe Mahaleur avait considérablement gagné en grosseur et n’avait rien perdu des teintes écarlates qui embellissaient autrefois son énorme visage.

— Viens-tu payer ton loyer ? demanda-t-elle en reconnaissant Justin. Ça fait pitié de te voir mourir de la pépie, quand tu pourrais lever le coude ici du matin au soir… comme moi, tiens, ma chatte.

Elle lampa le restant de son verre avec ostentation.

— Et c’est de la bonne, ajouta-t-elle, en faisant claquer sa langue, qui