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L’AVALEUR DE SABRES

— Ce n’est pas ma fille !

Sa propre voix l’effraya, bruyante comme une explosion, quoique le mot eût été prononcé, en quelque sorte, à l’intérieur de sa gorge.

Ses cheveux remuèrent sur son crâne, agités par un vent de mystérieuse horreur.

Sa taille avait grandi. La beauté de ses traits semblait rigide comme ces marbres qui représentent l’inflexibilité de la Justice antique.

Elle releva les yeux vers la jeune fille. Son regard désormais était de glace.

— Non, répéta-t-elle d’une voix changée, ce n’est pas ma fille, je le sais, j’en suis sûre, mon cœur me l’a dit ! Si elle était ma fille…

Ceci fut un cri d’angoisse.

Elle se mit à marcher vers l’ottomane et ajouta d’une voix stridente qui blessait ses lèvres au passage :

— Je veux le savoir, dussé-je en mourir !

Elle s’arrêta auprès du divan et prit, l’une après l’autre, les deux jambes de mademoiselle Guite pour les réunir dans la position ordinaire que donne le sommeil.

À la toucher ses mains frémissaient douloureusement.

Et plus douloureusement encore frémissait son cœur, car une voix disait en elle sans cesse :

— Si c’était, si c’était ta fille !

Elle déboutonna lentement le corsage de la modiste, qui emprisonnait une taille avenante et charmante.

Mademoiselle Guite se plaignait dans son sommeil.

Cela n’arrêta pas madame de Chaves qui souleva le corsage et s’en prit au fichu.

Mademoiselle Guite fronça le sourcil en grondant.

Madame de Chaves, dont les mains maladroites tremblaient de plus en plus, voulut dénouer le cordon de la chemise.

Un mot vint sur les lèvres de mademoiselle Guite, un mot que nous n’écrirons pas et qui mit une teinte écarlate, à la place de la pâleur, sur la joue de madame de Chaves.

Elle sourit et leva au ciel ses yeux chargés de pleurs reconnaissants.

— Oh ! fit-elle en une ardente prière qui remerciait avec tout son cœur, je savais bien que c’était impossible !

Désormais la certitude était faite en elle, et ce fut comme par manière d’acquit qu’elle continua de dénouer la chemise.

Son regard glissa entre la toile et la poitrine de mademoiselle Guite ; un nuage passa sur ses yeux, elle crut avoir mal vu.

Sans prendre désormais aucune précaution, elle écarta la chemise et se courba en deux pour regarder :

Puis elle recula frappée de stupeur, tandis qu’un cri s’étranglait dans sa gorge.

Ses deux bras étendus cherchèrent un appui ; ces deux mots vinrent à ses lèvres :

— C’est elle !

En même temps elle roula sur le plancher, foudroyée.