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L’AVALEUR DE SABRES

Sans se retourner, Saladin prit sur la table le flambeau, qui était à portée de sa main, et l’éleva au-dessus de sa tête.

Au même instant trois petits coups furent frappés aux carreaux de la fenêtre qui donnait sur la ruelle.

Les couteaux disparurent comme par enchantement.

Et tout se tut, même le bruit des respirations.

— Les volets ne sont donc pas fermés aujourd’hui ! dit tout bas Comayrol, au bout de quelques secondes, en ponctuant sa phrase avec un juron du Midi.

— Comment ne sont-ils pas fermés ! ajouta le bon Jaffret.

— Ils étaient fermés, répondit Saladin, bien fermés, mais j’ai fait mon tour, avant d’entrer, avec papa. On a quelques bons amis ici près.

— Bonjour les vieux ! cria une voix au-dehors, dans la ruelle, ça va-t-il comme vous voulez ?

Comayrol se précipita à la fenêtre et l’ouvrit.

— Qui est là ? demanda-t-il.

Personne ne répondit.

Son regard interrogea la ruelle sombre qui semblait déserte.

Pendant cela, de cette main qui naguère tenait le couteau, le bon Jaffret prit les doigts de Saladin et les serra affectueusement en disant tout bas :

— Toute cette petite machinette est remarquablement intelligente, et je vous donne ma voix de tout mon cœur, mon biribi.

Le Prince, qui avait fait le tour de la table, vint toucher l’épaule du Dr Samuel :

— Vous demandiez un homme, dit-il, en voici un.

— On ne sait pas, répondit le docteur. On va voir.

Saladin répondit au bon Jaffret :

— Ça n’était pas malaisé à exécuter, vous êtes des bandits âgés et mûrs pour la retraite. Je m’y serais pris autrement, si vous aviez eu vingt ans de moins. Fermez voir la fenêtre, papa Comayrol, ajouta-t-il ; vous êtes encore le plus vert de la bande, et, en cherchant bien, on vous retrouvera du nerf sous la peau. Mais, parole d’honneur, vous aviez besoin d’être remontés ; vos cinq couteaux étaient si drôles ! je me suis cru au salon de cire.

Comayrol restait auprès de la fenêtre et ne cachait point sa mauvaise humeur.

— Tu dis vrai, petit, prononça-t-il, entre ses dents : voilà quinze ans, tu n’aurais pas eu le temps de lever la chandelle !

Saladin lui envoya un baiser.

— Mon bon, dit-il, nous ferons une paire d’amis, nous deux, quand tu m’auras juré obéissance. Voyons ! ne nous endormons pas. Faites semblant de délibérer un petit peu, mes vénérables, pendant que je vais faire semblant de ne pas écouter, et puis vous me donnerez votre réponse officielle.

Il s’éloigna du divan et alla prendre Le Journal des villes et campagnes à l’autre bout de la chambre.

Les membres du Club des Bonnets de soie noire se formèrent en groupe, et le bon Jaffret dit de sa voix la plus caressante :

— Annibal Gioja, respecté Maître, je vous demande la parole. Vous