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L’AVALEUR DE SABRES

— C’est ici le secret même de notre confrérie, fit observer le Dr Samuel qui n’avait pas encore parlé.

Saladin le salua.

— Messieurs, reprit-il, le Scapulaire est votre sceptre, je connais cela et bien d’autres choses. Quoique je ne voie ici aucune de ces grandes physionomies qui ont illustré l’histoire ancienne de votre ordre, j’aurais quelque répugnance à poser ma candidature en face de personnages tels que messieurs Jaffret, Comayrol et Samuel, qui sont à tout le moins très capables et très expérimentés.

— Vous êtes bien bon, grommela l’ancien clerc de notaire.

— Je parle comme je pense… mais s’il ne s’agit que de détrôner ce faquin, les choses changent, et je vous dis franchement qu’une société comme la vôtre ne doit pas avoir pour gérant un homme de paille.

Annibal Gioja jeta le journal qu’il tenait à la main et fit un pas vers Saladin. Le bon Jaffret l’arrêta du geste en disant :

— Mon cher bon enfant, laissez parler l’orateur.

— D’autant mieux, reprit Saladin en se tournant vers Gioja, que l’orateur causera avec vous en tête à tête quand ce sera votre bon plaisir.

Le bon Jaffret prit encore la parole.

— Mon cher monsieur, dit-il, je vous ferai observer qu’ici nos réunions sont toujours paisibles.

— Il faut, mon cher monsieur, interrompit Saladin, que vos réunions redeviennent fructueuses comme elles l’étaient autrefois. Je compte apporter ici, il faut bien vous le dire, un peu de ce sang jeune et actif qui coule dans mes veines. Mon intention, pourquoi vous le cacherais-je ? est de restaurer la grande famille des Habits Noirs.

Il y eut un mouvement, comme on dit dans le compte rendu des séances parlementaires, et le fils de Louis XVII s’écria malgré lui :

— Écoutez, morbleu ! Écoutez !

— J’ai beau écouter, gronda Comayrol, le fils de ce coquin de Similor est aussi bavard que son père. Il a beaucoup parlé, mais, que je sache, il n’a encore rien dit.

— Le fait est que c’est bien vague, murmura le bon Jaffret, bien vague, bien vague…

— Je vais préciser, reprit Saladin, soyez tranquilles. Mais avant d’entrer en matière, il serait bon de balayer le terrain. Tenez-vous au Gioja, oui ou non ?

— Non, répondirent à la fois tous les membres présents, excepté Gioja lui-même.

— Donneriez-vous le Scapulaire, continua Saladin, à un jeune homme de courage et d’espérance qui vous apporterait, comme prime de joyeux avènement, une affaire toute faite de quinze cent mille francs comptant sans escompte ni retenues ?

Il y eut un moment d’hésitation, puis Comayrol répondit :

— C’est selon.

— C’est selon, répéta paternellement le bon Jaffret, selon, selon, selon.

Le Prince et le docteur approuvèrent du bonnet.

— Vous comprenez, reprit Comayrol, qu’il y a des épreuves… des garanties…