Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
396
LES HABITS NOIRS

— Verni de haut en bas ! dit le joyeux Comayrol en lui tendant la main. Annibal, quand donc me donneras-tu l’adresse de ton embaumeur ?

Le brillant Napolitain ne daigna pas répondre, mais Jaffret dit en rabattant son bonnet de soie noire sur ses longues oreilles frileuses :

— Mauvais temps ! toujours mauvais temps cette année.

Comayrol était allé s’asseoir auprès du Dr Samuel.

— Mon Prince, dit-il de loin au fils de Louis XVII, depuis que vous avez hérité de vos droits divins à la couronne de Saint Louis, on ne vous a encore fait jouer aucun air varié avec escalade et effraction, hé ?

Le Prince épaissit le masque idiot qui était à demeure sur son visage et répondit avec un sourire content :

— Il paraît que ça va chauffer, monsieur Comayrol ?

— Parlons raison, mes brebis, reprit celui-ci. Le vicomte Annibal est un Savoyard en sucre candi, et s’il a le Scapulaire, c’est pour la forme. La véritable tête de l’association, en l’absence d’un plus digne, c’est le bon Jaffret, un peu entamé par l’âge et les infirmités, mais qui marche encore assez droit, quand je suis là pour lui donner le bras. L’histoire de notre Brésilien commence à être mûre. Jaffret et moi, nous avons inondé le noble faubourg de ses actions, en présentant l’entreprise comme destinée à envoyer au Parà tous les démagogues de France et de Navarre, transformés en propriétaires sages comme des images. À l’estime de Jaffret, monsieur le duc de Chaves doit avoir deux millions en caisse pour le moins.

— Il m’a en effet parlé de deux millions, dit le vicomte Annibal.

Jaffret le regarda de travers en murmurant :

— Vous savez que vous n’avez pas le droit de toucher à ce gâteau, vous, bel homme.

— Je pense être au-dessus du soupçon, répondit fièrement Annibal. En tout cas, monsieur le duc est d’une honnêteté antique à l’endroit des affaires. Hier il a emprunté deux mille louis plutôt que de toucher au contenu de sa caisse commerciale. Je conçois, mes très chers, que ma position de confiance intime auprès de Son Excellence vous inspire quelque jalousie ou même quelques inquiétudes. Nous sommes ensemble, le duc et moi, comme les deux doigts de la main ; mais il ne faut pas oublier que vous me devez cette affaire et que, sans moi, les piastres brésiliennes vous passaient sous le nez !

— Tu es un ange, Annibal ! dit Comayrol. Messieurs, autre chose. Quelqu’un de vous se souvient-il d’un drôle, appelé Similor, qui fut employé différentes fois comme auxiliaire, notamment dans l’affaire J.-B. Schwartz et dans l’affaire de l’hôtel de Clare ?

Le bon Jaffret seul avait un vague souvenir de notre ami.

— En deux mots, qu’est-ce que c’est que Similor ? demanda le Dr Samuel.

— C’est un va-nu-pieds, répondit Comayrol.

— Et pourquoi nous parlez-vous de ce va-nu-pieds ?

— Parce qu’il ne faut rien négliger, répliqua l’ancien clerc de notaire. Similor est venu chez moi aujourd’hui et m’a rappelé ses états de services. J’ai cru d’abord qu’il voulait un secours, mais non, son désir était seulement de nous mettre en rapport avec un fils qu’il a et qu’il déclare être un brillant sujet. Je lui ai dit qu’il pouvait envoyer son fils, mais, dans