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L’AVALEUR DE SABRES

C’étaient deux bonnes personnes, bien dévouées, qui se dirent :

— Il paraît que le comte Hector va venir.

Contre l’habitude, madame la duchesse donna beaucoup de temps et accorda un très grand soin à sa parure. Elle n’était contente de rien. Il fallut recommencer trois fois l’arrangement de sa merveilleuse chevelure qui, les autres jours, se faisait en un tour de main.

Les deux fidèles caméristes se demandèrent :

— Est-ce que ce ne serait plus pour le comte Hector ?

Et toutes les deux le plaignirent sincèrement, car c’était un doux et beau jeune homme.

— Faut-il faire atteler ? interrogea l’une d’elles.

— Non, répondit madame de Chaves qui se regardait dans sa psyché en disposant les plis de sa robe.

Évidemment elle attendait quelqu’un, et, pour ce quelqu’un, elle voulait être belle.

Les deux caméristes, congédiées, parlèrent de cela longtemps.

Quel était l’heureux mortel ?…

Trois heures sonnèrent, puis quatre heures. En tout cas, l’heureux mortel se faisait terriblement attendre.

Un peu avant cinq heures, les deux battants de la porte cochère s’ouvrirent tout grands. C’était monsieur le duc, en chaise de poste, revenant de ce voyage qu’il n’avait point fait.

— Il n’est plus temps, pensèrent les deux femmes de chambre. L’heureux mortel a manqué le coche !

Mais en ce moment, la sonnette de madame la duchesse retentit.

Elles s’élancèrent ensemble.

Voici ce qui leur fut ordonné.

— Faites savoir à monsieur le duc que je suis un peu souffrante, et que je l’attends chez moi.

— Ah bah ! fit la première camériste dans l’antichambre.

— Tiens ! tiens ! répondit l’autre.

Elles éclatèrent de rire, et s’écrièrent ensemble :

— Par exemple, je n’aurais pas deviné celle-là ! Mieux vaut tard que jamais. C’est monsieur le duc qui est l’heureux mortel.


VIII

Le Club des Bonnets de soie noire


Dans une de ces rues, froides et tranquilles comme des rues de province, qui avoisinaient l’Observatoire et qui viennent d’être démolies pour le tracé du boulevard Port-Royal, il y avait encore en 1866 un petit café à la devanture décente où se réunissaient le soir quelques bons bourgeois et rentiers de ce quartier savant.

Il s’appelait le café Massenet, du nom de son propriétaire, ancien balayeur au bureau des longitudes et qui posait auprès de ses clients pour un mathématicien démissionnaire.