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L’AVALEUR DE SABRES

Et plus d’une fois, dans le cours de ses pérégrinations, il avait rencontré des fillettes, puis des jeunes filles qui avaient l’âge de Petite-Reine, et auxquelles son imagination prêtait une ressemblance avec l’objet de ses constantes pensées.

Il s’était ingénié alors, il avait interrogé, lui si timide, mais les réponses obtenues avaient toujours fait évanouir son espoir.

Depuis quelques jours, son espoir tenace avait repris le dessus.

En face du lieu qu’il avait choisi pour bâtir sa misérable cabane, sur l’esplanade des Invalides, pour les fêtes du 15 août, s’élevait la pompeuse baraque des époux Canada, les maîtres de la foire.

Ils étaient bonnes gens, nous le savons du reste, et d’ailleurs ils connaissaient Médor comme étant le seul ami du père Justin, le fameux homme de loi dont Médor nettoyait de temps en temps la tanière, quand toutefois le père Justin voulait bien le permettre.

Échalot avait dit souvent à Médor :

— Si l’avalage n’était pas une carrière démolie, nous te prendrions volontiers avec nous, ma vieille, car tu fais pitié dans ton trou ; mais l’avalage est fané jusqu’à ce que les caprices de la mode le fassent refleurir un jour ou l’autre, et depuis le jeune Saladin qui mangeait vingt-quatre pouces, la chose a disparu complètement des habitudes du XIXe siècle.

Médor était entré plus d’une fois voir danser mademoiselle Saphir qui, indépendamment de son talent et de sa beauté, l’un et l’autre bien au-dessus de ce qui se montre habituellement en foire, avait produit sur lui une impression indéfinissable.

Il se demandait : à qui donc ressemble-t-elle ?

Et comme son idée fixe le tenait toujours, il évoquait le souvenir de la Gloriette.

Mais mademoiselle Saphir ne ressemblait pas à la Gloriette.

Une fois Échalot lui dit :

— Madame Canada t’invite à prendre le café noir.

Et pendant qu’on prenait le café, madame Canada s’informa du lieu où perchait maintenant le père Justin. Elle avait besoin de le voir et de le consulter.

— Au sujet de choses, ajouta Échalot, qui sont des mystères et des délicatesses par rapport à notre fille d’adoption dont tu n’as pas besoin d’en connaître le secret ni le bel avenir.

Médor promit de conduire le ménage Canada chez le père Justin.

Mais, en regagnant son trou, il se disait :

— Il y a donc un secret ! à qui ressemble-t-elle ?

La veille du jour où nous sommes, au matin, Médor avait rencontré mademoiselle Saphir qui se rendait, selon son habitude, à la messe de Saint-Pierre-du-Gros-Caillou.

Et vraiment, avec sa toilette simple et presque austère, elle vous avait si bien l’air d’une demoiselle de bonne maison !

Assurément, monsieur le curé, qui avait remarqué sa piété modeste, se serait fâché tout rouge si vous lui aviez dit que sa nouvelle paroissienne était une saltimbanque.

Médor la regarda bien comme il faut, et quand il fut tout seul une idée lui poussa.