Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/2

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


PREMIÈRE PARTIE.

PETITE-REINE.

Séparateur


I

La foire au pain d’épice.


Il y avait quatre musiciens : une clarinette qui mesurait cinq pieds huit pouces et qui pouvait être au besoin « géant belge » quand elle mettait six jeux de cartes dans chacune de ses bottes, un trombone bossu, un triangle en bas âge et une grosse caisse du sexe féminin, large comme une tour.

Il y avait en outre un lancier polonais pour agiter la cloche, un paillasse habillé de toile à matelas pour crier dans le porte-voix, et une fillette rousse de cheveux, brune de teint, qui tapait à coups redoublés sur le tam-tam, roi des instruments destinés à produire la musique enragée.

Cela faisait un horrible fracas au-devant d’une baraque assez grande, mais abondamment délabrée, qui portait pour enseigne un tableau déchiré représentant la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des serpents boas, une charge de cavalerie, un lion dévorant un missionnaire et le roi Louis-Philippe avec sa nombreuse famille, recevant les ambassadeurs de Tippoo-Saïb.

Le ciel du tableau où voltigeaient des hippogriffes, des ballons, des comètes, des trapèzes, Auriol en train d’exécuter le saut périlleux, et un oiseau rare, emportant un âne dans ses serres, était coupé par une vaste banderole, déroulée en fantastiques méandres, qui laissait lire la légende suivante :

THÉÂTRE FRANÇAIS ET HYDRAULIQUE
Prestiges savants, exercices et variétés du XIXe siècle des lumières
DIRIGÉ PAR MADAME CANADA
Première physicienne des capitales de l’Europe civilisée

La clarinette venait d’Allemagne, comme toutes les clarinettes. C’était un pauvre diable maigre, osseux, habillé en chirurgien militaire. Il portait un nez considérable, qui faisait presque le cercle quand il suçait le bec enrhumé de son instrument. Le trombone bossu était de Pontoise, où il avait eu des peines de cœur en justice.