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L’AVALEUR DE SABRES

Il n’y avait, à l’intérieur, qu’un carton oblong qui portait à son revers l’adresse d’un photographe médaillé.

Lily, étonnée, le retourna et faillit tomber à la renverse.

C’était son propre portrait à elle, Lily, fait quinze ans auparavant ; le portrait qui tenait dans ses bras une sorte de nuage, parce que Petite-Reine avait bougé en posant.

Mme de Chaves regarda ce portrait pendant plusieurs minutes, immobile de stupeur.

Puis elle sonna violemment.

Sa femme de chambre accourut.

— Pas vous ! s’écria-t-elle. Le domestique ! je crois que c’est Germain… Germain ! à l’instant même !

On chercha Germain qui était retourné à ses affaires, et quand on l’eut trouvé, on l’envoya à madame la duchesse.

— Qui vous a remis ce pli ? demanda-t-elle avec une émotion qui dut être remarquée.

— Le concierge, répliqua Germain.

— Faites monter le concierge sur-le-champ.

Le concierge monta, nous ne dirons pas sur-le-champ, ce serait invraisemblable, mais enfin aussi vite que peut le faire un fonctionnaire de cette importance.

C’était, du reste, un beau concierge, comme le faubourg Saint-Honoré sait en produire, un concierge à tête de préfet, à ventre de chef de division qui coûte cher.

Aux demandes de la duchesse, le concierge aurait pu répondre : cela regarde ma femme, mais il se montra bon prince.

— C’est un malheureux, dit-il, mauvaise mine et mal peigné. On l’a fait attendre dehors.

— Et il est encore là ? demanda Lily vivement.

— Je prie madame la duchesse de faire excuse, il est parti. Madame, j’entends mon épouse, ayant eu occasion d’aller sur le pas de la porte cochère, le pauvre, qui avait attendu un bon moment, lui a dit :

« — Puisque la duchesse ne veut pas me recevoir aujourd’hui, je reviendrai demain… il a ajouté : la duchesse connaît bien mon nom.

« Et je me souviens de son nom parce qu’il est drôle, s’interrompit ici le concierge ; il s’appelle Médor.

— Médor ! répéta madame de Chaves d’une voix étouffée.

Elle renvoya le concierge et tomba sur un fauteuil en répétant pour la seconde fois :

— Médor !

Sa tête était faible et le flot de pensées qui se ruait dans son cerveau lui faisait mal.

Quatorze ans auparavant, elle avait laissé ce portrait dans sa chambrette, avec tout ce qui lui appartenait.

Sans doute, elle avait la pensée de revenir ou du moins d’envoyer prendre ces chères reliques, mais les choses avaient marché avec une rapidité inattendue ; celui qui l’emmenait ne voulait point lui laisser le temps de la réflexion.

La voiture où elle était montée avec monsieur le duc de Chaves, à la