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LES HABITS NOIRS

— Seigneur Jésus ! murmura-t-elle dès qu’elle put parler, et sa voix était douce comme jadis, douce comme le chant des jeunes mères, vous m’avez exaucée. Que vous êtes bon ! divinement bon ! vous devez entendre le cri de ma reconnaissance, et il me semble que je vous vois sourire… Je ne pleurerai plus, Sainte Vierge, moi qui ai tant pleuré, et des larmes si cruelles ! Je vais être heureuse ! je vais la revoir !

Elle s’arrêta sur ce mot, pressant son front à deux mains comme si elle eût craint d’être folle.

Et en conscience, elle avait raison, celle-là, de compter sur l’empire de sa beauté pour enchaîner à ses genoux l’amant le plus sauvage.

Agenouillée qu’elle était en ce moment, ou plutôt accroupie à demi dans une pose pleine de désordre, ses cheveux bondissant en boucles prodigues par-dessus ses mains pâles qui pressaient ses tempes, les yeux mouillés, le sein frémissant, elle était belle comme ces saintes que créait au temps de croyance le génie des peintres chrétiens.

— La revoir ! répéta-t-elle, dans deux jours… peut-être demain !

Elle se redressa, éclairée plus vivement par son allégresse, qui la couronnait comme une auréole.

Une dernière action de grâces s’élança de son cœur vers Dieu, puis elle resta muette et souriante — de ce sourire qu’elles ont, quand le cher enfant dort, heureux dans son berceau.

— Petite-Reine ! soupira-t-elle, comme elle va m’aimer ! je suis sûre que je la reconnaîtrai… ne l’ai-je pas suivie jour par jour, dans ma pensée ? dans ma douleur, ne l’ai-je pas vue grandir, changer, embellir ? Elle n’a plus ses yeux bleus si clairs, je le sais bien, ses cheveux blonds ont pris une nuance plus foncée… je sais tout cela, j’ai calculé tout cela, je l’ai vue cent fois, je la vois, et si elle entrait en ce moment…

Elle tressaillit au bruit de la porte qui s’ouvrait.

— Une lettre pour madame la duchesse, dit un domestique derrière la draperie fermée.

Lily se leva en soupirant ; elle avait presque espéré un miracle.

Le domestique lui remit un pli maladroitement façonné et dont le papier grossier n’était pas d’une entière propreté.

— Madame la duchesse, dit-il, a ordonné qu’on ne fît pas attendre les lettres des pauvres.

Elle l’éloigna d’un geste.

Si charitable qu’on soit, les pauvres peuvent tomber mal. Lily, généreuse tous les jours, eût donné, à cette heure, des poignées d’or au premier venu. Mais on avait tué son beau rêve.

La lettre resta un instant sur le guéridon où elle l’avait jetée, non sans un mouvement de dépit.

Elle la reprit bientôt, pourtant, parce qu’elle était bonne et qu’elle pensa :

— Il attend peut-être.

La lettre était fermée avec un pain à cacheter qui gardait encore des traces d’humidité. Lily l’ouvrit, sans émotion aucune, assurément, car la physionomie du message révélait d’avance son contenu. Ce devait être une supplique, accompagnée d’un certificat d’hospice ou de mairie.

Mais la lettre n’était pas une supplique. Le papier blanc, maculé en plusieurs endroits, ne montrait aucune trace d’écriture.