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LES HABITS NOIRS

— Madame, votre espérance est encore trompée ; vous avez cru que nous étions au bout de nos peines… Et cependant, si tout eût été fini ce jour-là, le jeune marquis de Rosenthal ne se serait jamais appelé monsieur Renaud, agent de police.


V

Saladin voit le pied d’un Habit-Noir


Saladin débitait toutes ces choses avec un aplomb plein de calme et son accent allemand qu’il n’exagérait jamais donnait à son récit une saveur particulière.

Il avait trouvé cet accent tout fait sous le péristyle de la Bourse.

— Je fus bientôt arrêté dans le rayon de mes investigations personnelles, poursuivit-il. En France, il n’est pas permis de faire la police soi-même. J’avais noué des relations au commissariat du quartier Mazas, et je m’informai auprès d’un inspecteur s’il me serait possible d’entrer à la préfecture sous un nom d’emprunt qui mît à l’abri la noblesse de mes ancêtres.

« Il fallait en arriver là ou abandonner la recherche qui me tenait si fort au cœur. J’avais découvert, en effet, il est à peine besoin de le dire, que la mère de ma petite Justine avait quitté le quartier Mazas depuis nombre d’années.

« En Allemagne comme en France nous avons nos préjugés contre la police, mais la fin justifie les moyens, et je crois que s’il avait fallu m’affilier à des malfaiteurs pour conquérir le bonheur de Petite-Reine, je n’aurais pas hésité un instant.

« On soumit le cas à un gros bonnet de la sûreté qui avait la réputation de jauger les gens d’un coup d’œil. Il répondit d’abord que tous les marquis étaient des imbéciles, et qu’il n’avait pas besoin d’un fainéant dans sa boutique, puis il voulut me voir par curiosité, disant qu’un marquis comme moi devait être une drôle de bête.

« Je lui fus présenté ; il me fit subir un examen de trois quarts d’heure, dans lequel je lui rendis compte des moyens que j’avais employés pour constater l’identité de Petite-Reine.

« — C’est naïf comme tout, me dit-il, mais c’est joli pour un jeune homme qui n’est pas de l’état et n’en a pas les outils.

« Il m’invita à dîner, non sans me faire sentir le prix de cette condescendance et me lança dès le soir même dans une histoire à faire dresser les cheveux.

« Il s’agissait de la bande connue sous le nom des Habits Noirs qui disparaît de temps en temps pour revenir toujours, dénoncée par ses crimes.

« Selon la coutume de l’association, les Habits Noirs, après avoir volé et assassiné une riche veuve du quartier Saint-Lazare, avaient jeté dans les jambes de la justice un prétendu coupable que les preuves accumulées avec soin accablaient.