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L’AVALEUR DE SABRES

— C’est lui ! s’écria-t-elle en portant le bracelet à ses lèvres, c’est bien lui, et ma fille…

— Permettez, madame, interrompit Saladin, ne nous égarons pas. Petite-Reine avait deux bracelets semblables, un que vous possédiez, un autre qu’elle avait emporté…

— Et celui-là ?…

— C’est celui qu’avait emporté Petite-Reine.

Lily tendit ses mains jointes qui tremblaient.

— Alors, elle vit, balbutia-t-elle. Elle vit !… car vous n’auriez pas voulu vous jouer ainsi du cœur d’une mère !

Les yeux ronds et fixes de Saladin se relevèrent sur elle.

— Procédons par ordre, s’il vous plaît, fit-il d’un ton d’autorité. Quand il en sera temps nous arriverons à ce qui regarde madame votre fille.


IV

Saladin fait un roman


L’instant d’auparavant, madame de Chaves n’aurait pas cru que son étonnement pût augmenter, mais elle bondit sur son siège à ces derniers mots prononcés par Saladin : « … madame votre fille ».

— Ma fille ! s’écria-t-elle, mariée !… mais c’est une enfant !

Puis, retournée subitement par la grande joie qui envahissait son cœur, elle ajouta d’une voix tremblante :

— Elle vit donc, puisqu’elle est mariée ! Oh ! qu’importe cela ! qu’importe tout le reste ! monsieur ! monsieur ! demandez-moi ce que vous voudrez, ma fortune, mon sang ! mais dites-moi quand je verrai ma fille !

Saladin lui adressa le signe que les pédagogues font aux enfants pour réclamer le silence.

— Procédons par ordre, répéta-t-il après avoir trouvé dans son carnet le carré de papier qu’il cherchait ; jusqu’à présent vous ne contestez pas ?

— Tout ce que vous avez dit, répliqua Lily qui le suppliait du regard, est la vérité même, et il a fallu un miracle d’habileté…

— Je suis Renaud, dit pour la troisième fois Saladin.

— Monsieur le duc de Chaves, continua-t-il reprenant la lecture de ses notes, grand de Portugal de 1re classe, chargé d’une mission particulière de l’empereur du Brésil, mêlé à tout cela indirectement. Était à la représentation de la foire. Était au Jardin des Plantes. Offrit des primes en argent à la police de Paris. Détermina la Gloriette à partir avec lui pour l’Amérique. — Lacune.

« Vous remplirez les lacunes, s’interrompit ici Saladin ; c’est nécessaire pour ma gouverne.

En même temps, il feuilleta rapidement son carnet et arriva jusqu’aux dernières pages, où il prit un carré qui contenait seulement ces mots :

— Lacune. Retour en France. Duc marié à la Gloriette. Voyage dans les départements.

Enfin un dernier papier disait :