Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
341
L’AVALEUR DE SABRES

— Avez-vous donc entendu parler… ? commença Hector.

Lily l’interrompit d’un geste grave.

— Un an après notre arrivée au Brésil, prononça-t-elle à voix basse, monsieur le duc de Chaves me donna son nom dans la chapelle de Sainte-Marie-de-Gloire à Rio. J’ai appris depuis qu’à ce moment sa première femme était morte depuis sept mois. Ne m’interrogea pas. Je ne sais rien de plus que ce que je vais vous dire, et c’est peu de chose.

« Monsieur le duc de Chaves avait introduit auprès de sa première femme un de leurs jeunes cousins sortant de l’Université. Il avait recommandé à madame la duchese de patronner cet enfant dans le monde.

« Puis un jour il lui reprocha d’avoir trop fidèlement obéi.

« Le jeune homme fut tué, dans une rencontre de nuit, par un adversaire inconnu.

« La duchesse mourut.

« Et le frère de la duchesse, un homme bien vu à la cour pourtant, fut exilé pour avoir parler de poison.

— Madame, dit Hector dont les sourcils étaient froncés, vous avez raison, je rendrai mes visites plus rares.

— Oh ! fit madame de Chaves en souriant, il ne faut pas prendre cet air fatal, nous ne sommes plus ici au Brésil ; à Paris, le poison n’est pas de mode. Et d’ailleurs, ajouta-t-elle d’un ton plus sérieux, ce sont peut-être des calomnies.

Il y eut encore un long silence. Quand les chevaux sortirent du couvert, pour traverser les clairières qui avoisinent le château de Madrid, madame de Chaves reprit tout à coup d’un ton de légèreté affectée :

— Et notre huitième merveille du monde ? Et cette belle des belles ? Il y a longtemps que nous n’avons causé de vos amours.

— Chère cousine, répondit Hector, si elle n’existait pas, mon oncle aurait peut-être raison d’être jaloux.

Lily éclata de rire franchement, les accès de gaieté étaient rares chez elle. Mais depuis quelques jours son caractère avait bien changé.

— Mon cousin, s’écria-t-elle, ceci est une demi-déclaration, qui est très adroite ou très impertinente.

— Puis-je être adroit avec vous, ma cousine, murmura Hector d’un ton de sincère émotion, puis-je être impertinent surtout ? Vous savez bien que je vous aime, et vous savez bien de quelle façon je vous aime. Il est certain que vous êtes trop belle pour inspirer seulement l’affection qu’on porterait à une sœur, mais il est certain aussi que mon cœur est pris d’autant plus fortement que cet amour a résisté au ridicule qui, dit-on, tue toute chose, au ridicule évident, manifeste. Il ne faut pas plaisanter avec mon amour, qui me rend malheureux déjà et qui, peut-être, brisera ma vie.

La duchesse lui tendit la main sans arrêter sa monture.

— Avez-vous vos vingt ans accomplis, Hector ? demanda-t-elle.

— J’aurai vingt et un ans dans onze mois, répondit Hector, je suis bientôt majeur.

— Et que comptez-vous faire, quand vous serez majeur ?

Hector ne répondit pas tout de suite.

— Eh bien ! insista madame de Chaves.

— Eh bien ! s’écria Hector avec un accent de passion qui fit tressaillir