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L’AVALEUR DE SABRES

emmenant avec elle son fils, alors âgé de onze ans, et une petite fille, plus jeune de deux ans.

Ce fils était monsieur le duc de Chaves actuel, le mari de la Gloriette ; cette petite fille devait être la mère du comte Hector de Sabran.

Monsieur le duc de Chaves avait été élevé par sa mère au Brésil. Une sorte de réprobation sourde entourait cette femme malgré son immense fortune.

C’était à ce point que la sœur du duc, mère d’Hector, belle et pourvue d’une dot considérable, aurait eu de la peine à trouver un époux, si monsieur de Sabran, étranger et ignorant la funeste histoire de cette famille, ne fût devenu amoureux d’elle à la française, et ne l’eût épousée en quelque sorte par impromptu.

Monsieur le duc, élevé dans les immenses possessions de sa famille, au fond de la province de Para, n’avait jamais frayé avec les jeunes gens de son rang. Entouré de serviteurs et de parasites qui, au Brésil, appartiennent volontiers à la pire espèce d’aventuriers, il avait dépensé son adolescence à des plaisirs violents, à de sauvages débauches. Sa mère encourageait ce genre de vie par une conduite plus que suspecte.

Il y avait à l’habitation des scènes brutales et l’orgie finissait parfois dans le sang.

Après la mort de sa mère, arrivée lorsque monsieur le duc touchait à sa vingtième année, il avait quitté ses terres pour se présenter à la cour où sa fortune et son nom lui assuraient un accueil favorable.

Le décès de la duchesse douairière rejetait du reste dans l’ombre un passé de malheurs ou de crimes dont le jeune duc ne pouvait être complice.

La première fois qu’on annonça à l’audience impériale don Hernan-Maria da Guarda, duc de Chaves, un grand sentiment de curiosité fut excité parmi les courtisans, et, dans ce sentiment, il y avait déjà de la jalousie.

Hernan-Maria était un superbe cavalier, mais sa complexion brune et la couleur basanée de sa peau trahissaient son origine mulâtre, au dire des courtisans portugais et brésiliens de sang pur, qui sont, par le fait, trois fois plus basanés que les quarterons.

Dès cette première audience, il demanda d’un ton froid et fier à Sa Majesté l’honneur d’être employé à son service.

On monte vite là-bas, quand on a derrière soi un nom et des millions. À vingt-quatre ans, Hernan-Maria, duc de Chaves, était un haut personnage, et il put doubler d’un seul coup sa fortune en épousant une des plus belles, une des plus riches héritières de l’empire.

Il fut amoureux pendant six mois et passa ses jours aux pieds de sa duchesse. C’était ainsi quand il aimait. Il adorait en esclave.

Au bout de six mois, il enleva une chanteuse italienne du Grand-Théâtre et lui meubla un palais.

Ce fut alors une existence d’orgies à tous crins. Ses folies de joueur scandalisèrent une ville où toutes les classes de la population poussent l’amour du jeu jusqu’à la démence.

Un soir, dans une académie de monte, il tua un colonel mexicain dans un duel au couteau, et fut blessé de deux balles par un citoyen des États-Unis dans un duel au revolver.

Il y avait bal à la cour, il rentra chez lui s’habiller et dansa un quadrille