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L’AVALEUR DE SABRES

La pensée de Justin — l’homme du château — l’avait fait remonter.

Il était revenu à Justin, comme si celui-ci eût pu lui fournir des renseignements. Peut-être encore, car il y avait un sentiment mauvais dans le cœur du pauvre Médor, avait-il voulu infliger à Justin une part de la peine qu’il éprouvait lui-même si cruellement. Médor s’arrogeait le droit de punir celui qu’il jugeait coupable.

C’était une honnête et brave créature. Était-il à son insu et ne fût-ce qu’un peu le rival de Justin ? Personne moins que lui n’aurait pu le dire. Son dévouement, il est vrai, ressemblait à un culte, mais n’oublions pas que cette religion avait sa source dans sa reconnaissance d’abord, ensuite dans sa pitié.

— Celle-là est trop malheureuse ! avait-il dit.

Quelque chose de souverainement tendre, qui comportait en soi la sollicitude maternelle, l’abnégation de l’esclave et l’ardent respect des amours chevaleresques, était venu se joindre à la gratitude et à la compassion.

Le tout formait une passion profonde, mais désintéressée splendidement, qui emplissait le cœur entier du pauvre diable.

Quand il se vit en face de Justin évanoui, il éprouva une grande surprise.

— Il l’aimait donc bien ! se dit-il.

Après quoi il se demanda :

— Mais, s’il l’aimait, pourquoi l’a-t-il abandonnée ?

Le bon Médor n’avait pas en lui ce qu’il faut pour répondre à ces questions subtiles qui embarrassent parfois les philosophes. Le plus pressé était de secourir Justin ; Médor s’y employa de son mieux.

— Paraît que c’est mon état, pensait-il avec un reste de rancune : soigner ceux que j’aime et aussi ceux que je n’aime pas !

Comme médecin, Médor n’en savait pas très long. Il jeta de l’eau au visage du malade qui demeura immobile.

Nous l’avons dit, Justin était très remarquablement beau. Tout en travaillant à sa guérison, Médor le considéra d’abord d’un œil qui n’était rien moins que bienveillant.

Pour lui, cet « homme du château » était trop blanc, trop semblable à une femme, malgré la soyeuse moustache qui frisait au-dessus de sa lèvre. Il avait la taille trop mince et les cheveux trop doux.

— Ça n’est pas le même monde que nous, se disait-il, ça n’a que du bonheur dans la vie et ça fait le malheur des autres : c’est trop joli !

Mais les yeux de Justin s’ouvrirent, et Médor s’étonna d’être ému.

Il pensait :

— Elle l’aime, elle doit l’aimer ! Il a la même manière de regarder que Petite-Reine.

Justin reprit complètement ses sens au bout de quelques minutes. Il interrogea. Médor fut tout étonné lui-même de la douceur qu’il mettait désormais dans ses réponses.

Cela venait de ce que Justin, en recouvrant le souvenir, lui avait dit :

— Je pense qu’aujourd’hui vous êtes plus fort que moi, l’ami. Vous eussiez bien fait de me casser la tête si j’avais mal parlé d’elle.

Justin lui avait ensuite tendu sa main que Médor avait touchée, non sans un reste de défiance.