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tournure. Croyez-moi, cher enfant, ne négligez aucune précaution et soyez bien armé lors de cette entrevue. Pour ce qui regarde votre travail, je vous prie de me le laisser encore un jour ou deux ; j’ai déjà pris quelques notes qui pourront vous être utiles ; ma connaissance complète du pays donnera une certaine valeur à mon témoignage, surtout auprès de Son Excellence, qui était inspecteur des prisons sous le règne de Charles X et qui, lors de sa dernière tournée, voulut bien accepter ma modeste hospitalité au château de Bozzo. À mon âge, vous le savez, les souvenirs ne se présentent plus en foule. Ils reviennent un à un et je les écris à mesure.

Remy ouvrait la bouche pour rendre grâce de nouveau en acceptant volontiers le délai proposé, lorsque la comtesse Corona, dont les ongles roses battaient la générale sur les vitres de la serre, se retourna et dit avec une véritable explosion de colère :

— Ah çà ! quel jeu jouons-nous ici ? M. d’Arx s’est-il moqué de moi quand il m’a parlé pendant deux heures… deux heures d’horloge ! de son martyre, de ses craintes, de ses espoirs, de son amour enfin qui s’exhalait en paroles embaumées, douces et pures comme un chant de rossignol ?

— Au nom du ciel !… balbutia le jeune magistrat.

— Il n’y a pas de ciel qui tienne ! ou plutôt le ciel est bleu comme votre flamme, et il faut que j’en aie le cœur net. Vous seriez capable de recommencer demain et je ne veux pas faire tous les jours pareille dépense de tendre pitié.

— Ne vous insurgez pas, bon père, ajouta-t-elle