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un large vide existait autour de lui, à droite comme à gauche. Il s’était fait servir un petit verre qui restait intact. Depuis son entrée, il demeurait immobile, la tête enfoncée entre ses deux robustes mains.

Les regards que les joueurs et la galerie jetaient à ce personnage étaient rares ; ils exprimaient à la fois de la répugnance et de la crainte. Cocotte seul lui avait dit lors de son entrée :

— Bonjour, marchef ; comment va ?

Encore avait-il ajouté à voix basse :

— Il y a du tabac, puisque voici le Coyatier ! Quand cet oiseau-là sort de son trou, méfiance ! Je parie que nous allons avoir du nouveau cette nuit.

Aussi quand la porte s’ouvrit pour donner passage à la judaïque figure de M. l’Amitié, il y eut un effet produit, comme on dit au théâtre.

Les conversations se turent autour des tables, les billes s’arrêtèrent sur le billard, et, de groupe en groupe, on aurait pu entendre ce nom prononcé à voix basse : Toulonnais-l’Amitié.

— Qu’est-ce que je vous avais dit ? ajouta le jeune M. Cocotte en clignant de l’œil à la ronde. Tabac !

Le nouveau venu referma la porte et dit d’une bonne grosse voix toute ronde que nous n’aurions point reconnue, car il parlait sur un autre ton dans l’échoppe du père Kœnig :

— Bonsoir, les petits vieux, ça va-t-il comme vous voulez ? Je passais ici en me promenant, j’ai eu l’idée d’entrer pour savoir un peu ce que vous pensez du cours de la Bourse et des affaires politiques.