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— Non, elle raconte sa vie parmi les pifferari.

— Alors, saute.

Lecoq tourna quelques feuillets avec un plaisir évident.

« … Mon nouveau maître, reprit-il en continuant sa lecture, était un danseur de corde qui, dégoûté de l’Italie, où il avait peine à gagner du pain noir, résolut de passer en France… »

— Saute le voyage, interrompit le colonel.

Même jeu de la part de Lecoq qui continua, lisant toujours : « … Je venais d’avoir treize ans, et le physicien Sartorius m’avait dressée à feindre le sommeil magnétique. J’avais aussi le don de seconde vue, et je m’essayais à la suspension aérienne. J’entendais dire autour de moi que je devenais jolie ; mais on continuait à me battre… »

— Saute, cabri !

« … Une fois j’éprouvai une impression singulière : notre baraque était sur une grande place, non loin du tribunal ; j’avais fini mes exercices et je me reposais à la fenêtre de notre maison roulante, quand je vis sortir d’un hôtel une bonne qui tenait par la main une petite fille de deux ou trois ans. C’est tout, mais je le répète, c’est très singulier : l’hôtel me sauta aux yeux en quelque sorte, il me sembla que je le reconnaissais ; bien plus, il me sembla que cette petite fille c’était moi-même à une autre époque. J’essuyai, tout en colère, mes yeux qui s’étaient mouillés par suite d’une incompréhensible émotion… »