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La première maison du Chemin-des-Amoureux, en entrant par la rue des Fossés, était un café borgne qui portait pour enseigne ce hardi calembour : Estaminet de L’Épi-Scié. Cet établissement, entouré d’une détestable renommée et dans lequel la police faisait de fréquentes razzias, avait sa façade tournée vers le boulevard, à cause d’un coude brusque de la ruelle.

Du lieu où M. l’Amitié s’était arrêté, il pouvait voir à travers les rideaux rouges de deux fenêtres les lueurs de la salle de billard. On y jouait la poule, selon la promesse d’un petit écriteau, fabriqué à la main et placé sous la lanterne rouge qui disait aux passants du boulevard les prix du gloria et de la demi-tasse : 10 et 20 centimes.

Le billard, large comme une prairie, haut sur jambes et recouvert d’un tapis abondamment graisseux, était placé au milieu d’une salle assez spacieuse, mais basse d’étage. Tout à l’entour, des tables de bois, soutenues par deux pieds seulement, s’appuyaient de l’autre côté sur une tringle appliquée contre le mur.

Vis-à-vis de la porte d’entrée il y avait un comptoir de marchand de vins, où trônait une grosse mère à la figure violette dont le bonnet, garni de vieux rubans rouges, laissait échapper des mèches de cheveux gris pommelé.

Son nom était Mme Lampion ; elle avait ruiné des porteurs d’eau dans sa jeunesse.

La poule, bien nourrie, comptait une douzaine de joueurs dont les costumes étaient sensiblement dis-