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— Depuis douze heures que je suis seul dans ma prison, j’ai bien réfléchi ; tout ce qui s’est passé me revenait à l’esprit de point en point, et il me semblait que j’étais mon propre juge. Mon malheur est grand ; j’ai souffert cruellement pendant cette journée, mais je n’ai point perdu la tête et je possède toute ma raison. Vous connaissez la pauvre histoire de ma jeunesse, monsieur le juge ; moi, je ne vous connais pas et j’ignore jusqu’à votre nom ; mais si une lueur d’espoir pouvait naître en moi, elle me viendrait de vous. La loi vous défend-elle de m’entendre en particulier ?

— La loi exige que l’interrogatoire soit recueilli par le greffier, répondit Remy d’Arx, et c’est la garantie de l’accusé, mais la loi ne pose aucune limite au libre arbitre du juge choisissant les moyens d’éclairer sa conscience.

Il s’interrompit et ajouta en s’adressant au greffier :

— Laissez-nous, monsieur Préault, mais ne vous éloignez pas ; je vous rappellerai quand il me plaira de reprendre l’interrogatoire légal.

M. Préault rangea ses papiers, déposa sa plume et gagna la porte en répétant :

— Excusez ! ça prépare des jolis moyens de cassation.

La porte fut bruyamment refermée, car M. Préault était de méchante humeur.

— Lieutenant Pagès, reprit le juge en se levant, personne ne nous écoute ; vous êtes ici en présence du seul homme qui puisse vous comprendre ; j’ai des raisons pour vous croire innocent.