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— Je ne l’ai dit à personne, murmura-t-il ; hier, j’aurais pu affirmer que je ne me l’étais pas dit à moi-même. L’idée d’un si grand bonheur n’a jamais pu entrer en moi ; je n’espérais pas, j’étais sûr d’être vaincu avant même d’entamer la bataille. Il a fallu les conseils de Francesca, l’obsession, devrais-je dire, et l’augure favorable porté par le colonel Bozzo pour combattre à la fois mes pressentiments trop fondés, et mes craintes, qui devaient se réaliser si vite !

Il s’approcha de la table et s’assit, déposant le papier froissé auprès de deux autres lettres dont les enveloppes étaient à terre.

— Qui peut m’écrire ainsi ? reprit-il, et pourquoi m’écrit-on comme si ce mariage était une chose possible, publique, certaine ? Les gens qui m’adressent ces calomnies, savent et ne savent pas ; ils ont pénétré le secret de mon amour, que je n’aurais pas confié à mon meilleur ami ; mais ils croient que mon amour est heureux, ils essayent d’empoisonner ma joie avec du fiel…

Il prit à la main les trois lettres, que son regard, chargé d’une immense fatigue, parcourut tour à tour.

— Ma joie ! répéta-t-il avec une amertume qui allait jusqu’à l’angoisse. Ah ! s’il était vrai, si Valentine m’avait laissé un espoir, je les défierais bien de troubler mon triomphe ! Ne sais-je pas aussi bien qu’eux qu’il y a un mystère dans sa vie ? Ne me l’a-t-elle pas dit elle-même, et ne s’est-elle pas offerte à me le révéler ?

Il s’interrompit, lisant à demi-voix et sans sa-