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decins m’avaient condamné, et je voyais arriver avec une secrète joie le terme de mon existence. Les heures de ma solitude se passaient dans la bibliothèque, où ma mère avait amassé son pieux trésor. Je me souviens que, par les fenêtres, je regardais l’océan lointain par-dessus la jeune forêt des sapins qu’on avait plantés pour assainir la lagune.

« Le choix d’une carrière à suivre me restait indifférent, ou plutôt je ne voulais point de carrière. Je lisais çà et là quelques ouvrages de droit, plus volontiers ceux qui traitaient de matières criminelles, et surtout, Votre Excellence comprendra cet instinct, les passages qui touchaient aux erreurs judiciaires.

« En ce genre, la collection faite par ma mère était riche, car Mathieu d’Arx, par des motifs analogues aux miens, avait subi le même entraînement.

« Un soir que je parcourais le recueil des mémoires relatifs à la révision du procès Lesurques, j’arrivai à la fameuse consultation signée par Berryer le père, le professeur Toullier, Pardessus et Dupin l’aîné. À la page qui contenait la nomenclature et l’étrange entassement des preuves accumulées par le hasard contre le prétendu assassin du courrier de Lyon, je cessai tout à coup de suivre le texte, parce que plusieurs lignes tracées en marge par la main de mon père attirèrent violemment mon attention.

« La note était ainsi conçue :

« À part le fait entièrement fortuit de la ressemblance entre l’innocent et le coupable, il y a ici un ensemble de circonstances qui devait dérouter le