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« Je suis seule. Il y a en moi quelque chose qui me dit : Tu es perdue. Pourquoi suis-je seule à l’heure du danger ? Pourquoi n’es-tu pas là ? J’aurais dû te rappeler plus vite. J’ai eu peur du monde ; on m’a appris les lois, les convenances du monde ; il m’a semblé un instant que je devais leur obéir.

« Que m’importe tout cela ! tu serais venu, j’en suis bien sûre, et tu me dirais : Courage !

« Courage ! contre qui ? de quoi suis-je menacée ? ils m’entourent et ils m’aiment ; je n’ai pas le temps de concevoir un désir.

« Mais je me souviens, il y a des choses que je n’ai pas dites, même à toi ; j’essaye souvent de me persuader que j’ai fait un rêve terrible quand j’étais tout enfant… oh ! terrible !

« Ceux qui s’intéressent à une jeune fille la surveillent, n’est-ce pas ? Il me surveille, il en a le droit, il veut me donner une partie de sa fortune ; il est le meilleur ami de celle qui me tient lieu de mère.

« Il vient de venir à l’improviste, comme il fait toutes choses. Il voit à travers les murailles, on ne peut lui cacher aucun secret. Il m’a parlé avec bonté, avec tendresse, et je reste brisée comme si j’avais lutté contre un implacable ennemi !

« Peut-on respecter ainsi un homme presque à l’égal d’un père, et le craindre plus qu’un démon ?…

« Vois, ma main tremble ; pourras-tu me lire ?… J’ai froid jusque dans mon sang, et pourtant il me