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On se couchait alors au jour pour se lever Dieu sait à quelle heure.

La marquise, femme de vie discrète et parfaitement régulière, confessait qu’elle n’avait point entendu sonner midi depuis sa plus tendre jeunesse.

Le colonel, au contraire, entendait sonner toutes les heures de la journée et de la nuit.

Il avait un côté fantastique, ce charmant et doux vieillard : il passait pour ne jamais se mettre au lit.

Quarante minutes après que son coupé modeste avait quitté la cour de l’hôtel d’Ornans, vous l’eussiez trouvé en robe de chambre assis à son austère bureau, dans sa maison de la rue Thérèse, qu’il avait transformée en établissement de bienfaisance.

Cette nuit-là, les invités de la marquise avaient pris congé de bonne heure, peut-être parce Mlle de Villanove, qui était l’âme de ces petites fêtes, s’était retirée chez elle tout de suite après son entrevue avec M. Remy d’Arx.

La danse avait langui ; cette belle comtesse Corona n’était pas la femme qu’il fallait pour faire les honneurs d’une réunion de jeunes filles : elle était triste, dès qu’un intérêt vif et actuel ne la distrayait point de ses peines, et le drame de sa vie la préoccupait trop passionnément pour qu’elle pût prendre part à des amusements presque enfantins.

À l’heure du souper Mme la marquise se mit à table d’assez mauvaise humeur ; elle n’avait aujourd’hui, par hasard, qu’un seul fidèle, le colonel Bozzo,